Auteur : par Texte du M’PEP
- Au lieu de déclarer la guerre aux marchés financiers, les oligarques (...)
- L’austérité pour les pauvres : une seconde nature pour les classes (...)
- Les riches ne payent pas assez d’impôts
- Une partie de la gauche enfumée par les europiomanes
- Un niveau de richesses créées le plus élevé du monde, et pourtant des plans (...)
- La contagion des plans d’austérité
- En Espagne
- Au Portugal
- En Italie
- En France
- Les plans d’austérité conduisent peu à peu à la remise en cause de la (...)
- C’est l’occasion qui fait le larron
- Le Fonds monétaire international prend en partie le contrôle de l’Union (...)
- Inquiétude des États-Unis
- L’Union européenne : une machine à fabriquer du nationalisme et de l’extrême (...)
- Casser les nations
- Annuler les plans d’austérité pour la population car ils vont aggraver la (...)
- Une question de justice
- L’austérité est inefficace pour rééquilibrer les finances publiques
- Même les marchés financiers s’inquiètent des plans d’austérité
- Quelles seraient les conséquences du refus d’appliquer les plans d’austérité (...)
- Pas d’autre solution que de sortir de l’euro
- Ce sont les luttes sociales, en dernier ressort, qui seront décisives
- Des luttes qui ne se développent qu’à l’échelle nationale
EN GRÈCE COMME AILLEURS, REFUSER LES PLANS D’AUSTÉRITÉ ET LA REMISE EN CAUSE DE LA DÉMOCRATIE
Par le Mouvement politique d’éducation populaire (M’PEP).
Le 1er juin 2010.
Épisode n° 1 du feuilleton de la crise de l’Union européenne
Résumé
Dans beaucoup de pays, les déficits publics et les dettes publiques se sont accumulés ces dernières années. La crise des subprimes née aux États-Unis d’un excès d’endettement privé a amplifié les dettes publiques en 2008 et 2009 du fait des « plans de sauvetage » des banques et des « plans de relance » décidés par les gouvernements. Le déficit public moyen dans la zone euro a été multiplié par plus de 3 entre 2008 et fin 2009, passant de 2% à 6,3% du PIB, tandis que la dette publique passait de 66 à 78,7% du PIB entre 2007 et fin 2009.
Un prochain épisode du feuilleton lancé par le M’PEP sur la crise de l’Union européenne donnera tous les éléments de compréhension du phénomène des déficits et des dettes. Retenons ceci pour l’instant : ces déficits et ces dettes ont pour cause principale une importante diminution relative des recettes fiscales tirées des prélèvements sur le capital et les revenus des fractions les plus aisées de la population. Viennent ensuite les effets des « plans de sauvetage » des banques et de « relance » issus de la crise de 2007-2009. Il faut aussi ajouter un « service de la dette » (les intérêts payés sur les emprunts) de plus en plus coûteux lié au fait que les banques centrales – devenues « indépendantes » - ne peuvent plus prêter aux États.
Pour combler ces déficits et ces dettes, les États empruntent sur les « marchés financiers » (banques, fonds de pension, fonds mutuels, hedge funds…). Ils le font au moyen d’emprunts obligataires (Bons du Trésor…). Mais lorsque les États sont très endettés, les agences de notation chargées d’évaluer le risque de non-remboursement (« défaut » de paiement), leur donnent de « mauvaises notes », provoquant la hausse des taux d’intérêt sur les emprunts d’État. Évidemment, ces taux d’intérêt élevés viennent encore alourdir les déficits et nécessitent de nouveaux emprunts… C’est un cercle vicieux.
Pour rembourser coûte que coûte les marchés financiers qui ont prêté aux États, l’Union européenne et le FMI (mais aussi les gouvernements des pays concernés), exigent des politiques d’austérité. Elles sont censées permettre de trouver les sommes nécessaires au remboursement des créanciers. Comme la population, à juste titre, risque de protester (encore que ce ne soit pas le cas partout en Europe !), des mesures de restriction des droits démocratiques sont alors mises en place. L’Union européenne et le FMI peuvent ensuite « aider » ces pays (c’est le terme officiel utilisé par la propagande de l’Union européenne), c’est-à-dire leur accorder des prêts à des taux inférieurs à ceux des marchés financiers afin qu’ils puissent, précisément, rembourser leurs créanciers (surtout des banques). Mais ces « aides » sont assorties de contreparties, appelées « conditionnalités » ou « plans d’ajustement structurel », qui sont des mesures d’austérité générale et de restriction des libertés démocratiques.
La crise de l’Union européenne a commencé par la Grèce. Ce pays, pour faire face à ses échéances (payer les fonctionnaires, faire fonctionner la société – écoles, hôpitaux, pompiers, police, transports… -, payer les intérêts des emprunts, rembourser les emprunts arrivant à terme), devait emprunter environ 54 milliards d’euros en 2010. À la fin du mois de février 2010, 13 milliards d’euros avaient été empruntés sur les marchés. La crise a éclaté quand le gouvernement grec a annoncé qu’il ne pourrait pas rembourser un emprunt de 8,5 milliards d’euros arrivant à échéance le 19 mai 2010.
Le 15 avril 2010 le gouvernement grec, pour la première fois, demandait l’ouverture de discussions avec la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le FMI.
En 2009, la Grèce comptait 11 millions d’habitants (2,2% de la population de la zone euro) ; son PIB était de 242 milliards d’euros (1,2% du PIB de l’Union européenne) ; sa dette publique représentait 112% de son PIB (3,6% de la dette totale de la zone euro) ; son déficit public était de 13,6%.
Cette situation a été analysée par les marchés financiers comme présentant un risque de « défaut » (non-remboursement total ou partiel du capital et/des intérêts). Immédiatement les taux d’intérêt sur les emprunts de l’État grec se sont mis à monter. Le 22 avril 2010, les emprunts à 10 ans étaient à 8,8%, presque trois fois plus que ce que paye l’Allemagne, le financement à deux ans étant à 10,23%, soit 9% de plus que l’Allemagne ! On comprend, dans ces conditions, pourquoi le gouvernement grec ne pouvait plus emprunter sur les marchés financiers, compte tenu du coût prohibitif. Comme la Banque centrale européenne n’a pas le droit de prêter directement aux États, et que les traités interdisent d’aider un État par des transferts de fonds (il y aurait « distorsion » de concurrence), il fallait que de toute urgence les eurocrates bricolent un dispositif pour contourner les obstacles constitués par la BCE et les traités. C’est ainsi qu’est né en avril 2010 un système hybride constitué de prêts bilatéraux des États-membres de la zone euro à la Grèce, pour une valeur de 110 milliards d’euros sur trois ans, dont 30 milliards apportés par le FMI. Avant l’échéance du 19 mai 2010, le gouvernement grec a pu recevoir une enveloppe de 20 milliards d’euros qui lui a permis d’éviter le défaut. Mais ce n’est pas pour autant que les marchés se sont « calmés », bien au contraire. Les taux d’intérêt se sont mis à grimper pour le Portugal et l’Espagne, conduisant à un plan de « sauvegarde » de 750 milliards d’euros lors d’un sommet européen tenu à Bruxelles du 7 au 9 mai 2010.
Le thème des déficits publics et de la dette publique revient donc à la mode. Il n’a qu’un seul objet : justifier, par des « arguments » de conjoncture et d’un apparent bon sens, que la population doit se serrer la ceinture. Il faut retourner ce thème contre les néolibéraux et les sociolibéraux. La réalité des faits et quelques réflexions critiques montrent que la vraie gauche dispose de tous les arguments pour passer à l’offensive. Et pour faire grandir l’idée qu’il est nécessaire et possible de refuser les plans d’austérité et la remise en cause de la démocratie.
Face à l’hyper-austérité qui s’abat sur les peuples européens, des luttes d’une ampleur et d’une radicalité encore inconnues doivent se développer.
Après l’accord spécifique permettant à la Grèce d’obtenir des prêts pour 110 milliards d’euros sur trois ans, un nouveau sommet européen s’est tenu à Bruxelles du 7 au 9 mai 2010. Il s’agissait de réagir à la crise de l’euro qui frappait non seulement la Grèce, mais qui commençait à s’étendre à l’Espagne et au Portugal, menaçant également l’Italie et la France ainsi que le reste des pays-membres de la zone euro. Les dirigeants européens, réunis à l’occasion de cette crise, avaient la possibilité de déclarer la guerre aux spéculateurs et mettre de l’ordre dans les marchés financiers. Ils ne l’ont pas fait, et pour cause, ils en sont l’émanation et les obligés. Ils ont préféré, de façon totalement illusoire, « rassurer » les spéculateurs et les marchés financiers. Ils ont pris prétexte de cette crise, à l’inverse, pour déclarer la guerre aux peuples d’Europe en déclenchant des plans d’austérité d’une ampleur inconnue depuis la Seconde Guerre mondiale. Pour tenter de neutraliser la protestation populaire, les eurocrates européens se sont engagés dans un vaste mouvement de remise en cause des droits démocratiques.
Au lieu de déclarer la guerre aux marchés financiers, les oligarques européens ont déclaré la guerre aux peuplesLe signal de la reprise en main des marchés de capitaux qu’aurait pu donner l’Union européenne – leur mise au pas - a été une fois de plus refusé. Et on comprend pourquoi puisque les traités européens interdisent toute forme de restriction à la libre circulation des capitaux. Comment encadrer, ou même « réguler » les marchés financiers sans remettre en cause, d’une manière ou d’une autre, leur liberté de circulation ? Car une telle limitation de cette circulation est assimilée à du « protectionnisme » appliqué non pas au marché des biens et services, mais au marché des capitaux. Or, dans l’univers des europiomanes, le protectionnisme est un dessein diabolique.
C’est pourtant en s’attaquant radicalement aux causes de l’instabilité monétaire et financière internationale que l’Union européenne pourrait peser comme force positive de stabilité à l’échelle mondiale. Ce serait, sans nul doute, le meilleur moyen de réconcilier l’Europe et les Européens.
À l’opposé de cette idée de bon sens, le comportement des oligarques européen fait penser à celui des peuplades des temps reculés, écrasées par l’ignorance et la superstition. Pour calmer la colère des dieux ou des démons et les « rassurer », il fallait des cérémonies sacrificielles et des offrandes perpétuelles. C’est la même chose aujourd’hui avec les marchés financiers qui veulent des sacrifices et des offrandes ayant pour nom austérité, chômage, pauvreté, misère… À la différence près que les dieux d’antan sont devenus des hommes en chair et en os en quête de profits sur le dos des peuples.
La pulvérisation en cours des droits sociaux et démocratiques remet en cause près de trois siècles de luttes – depuis les Lumières - qui avaient abouti à la civilisation européenne. Finalement, la « construction » européenne actuelle, celle des marchés et de la « concurrence libre et non faussée », déconstruit cette civilisation bâtie de haute lutte.
Selon les dictionnaires, l’ « austérité » est une « manière de vivre excluant la douceur, les plaisirs superflus ». Le terme de « rigueur » remplace parfois celui d’ « austérité » : « refus de tout laxisme dans le respect des impératifs économiques et budgétaires ». La « rigueur » est véritablement entrée dans l’histoire politique lorsque François Mitterrand, président de la République, a renoncé en 1983 à poursuivre l’expérience d’une politique de gauche pour s’aligner sur les politiques néolibérales en parlant du « tournant de la rigueur ». L’ « austérité » et la « rigueur », en effet, sont des politiques économiques qui sont présentées comme voulant réduire drastiquement les coûts et les dépenses publiques.
De telles politiques ont vocation à être mises en œuvre lors de catastrophes comme des guerres ou des cataclysmes naturels ayant détruit une partie de l’appareil de production et des infrastructures (routes, ponts, habitations, réseaux…). Dans ces circonstances exceptionnelles, il est impossible, matériellement, de maintenir le niveau de vie de la population. C’est la situation qu’a connue la France, par exemple, pendant la Seconde Guerre mondiale et pendant encore quelques années après la Libération. C’est le drame que connait le peuple haïtien depuis le tremblement de terre de janvier 2010. Il faut, dans ces épreuves, faire des sacrifices pour reconstruire le pays. Il ne viendrait à l’esprit de personne de nier ces réalités et d’exiger le maintien des positions de chacun alors que ce n’est objectivement pas possible.
Il existe une autre raison à l’austérité et à la rigueur, beaucoup moins dramatique. C’est lorsqu’un pays est très fortement endetté vis-à-vis de tiers, comme d’autres pays ou des banques et institutions financières étrangères. Les classes dirigeantes des pays endettés peuvent alors décider l’austérité ou la rigueur dans le but d’économiser le maximum de fonds publics pour les utiliser à rembourser les créanciers. Dans ce dernier cas, l’acceptation de la population appelée à faire des sacrifices dépendra des raisons de cet endettement et du partage équitable de ces sacrifices à réaliser au sein de la société. Car il serait un peu trop facile, pour des gouvernants incompétents ou corrompus, d’endetter leur pays et de présenter ensuite l’addition à la population. Qui pourrait s’étonner du refus de celle-ci de faire les sacrifices demandés ?
C’est exactement la situation des plans d’austérité imposés aux Grecs, aux Portugais, aux Espagnols, aux Italiens, aux Français, entre le début de l’année et le printemps 2010, ainsi qu’aux autres peuples des pays membres de l’Union européenne, particulièrement de la zone euro. Les déficits publics et la dette publique, qui justifient cette austérité, n’ont pourtant pas pour origine un excès de dépenses sociales. Ces dettes et déficits ont pour origine, au contraire, la faiblesse des recettes fiscales provenant des prélèvements sur le capital et les revenus des personnes fortunées. Il faut également mentionner la crise des subprimes, qui a été une crise de la dette privée importée des États-Unis et qui a coûté des centaines de milliards d’euros aux États européens pour « renflouer » les banques ou relancer l’économie. Il faut ajouter les politiques des dirigeants de l’Union européenne et de chacun des pays de l’Union qui n’ont eu de cesse d’affaiblir la part du travail dans la répartition des richesses et de renforcer à l’inverse le poids des marchés financiers en organisant leur libéralisation totale. Maraboutés par les dogmes néolibéraux, les « gnomes » de Bruxelles n’avaient et n’ont qu’une seule ligne politique : affaiblir la part du travail dans la répartition des richesses afin de faire remonter celle du capital. Ils ne font pas cela par incompétence, bêtise ou méchanceté (quoique, parfois…), mais parce qu’ils croient vraiment (du moins ceux qui n’ont pas encore sombré dans le cynisme absolu) que l’économie ne peut fonctionner correctement qu’à la condition de libérer les « forces du marché », celles des « entrepreneurs » et celles de la finance. Toute entrave à ces « libertés », de leur point de vue, serait fatale. Il parait que cette politique serait plus efficace pour le bien de tous. Le principal moyen d’abaisser la part affectée au travail dans la répartition des richesses, pour faire remonter celle affectée au capital, a été l’organisation méthodique et cynique du chômage et de la précarité. Autre source de déficits et de dettes publics, les intérêts payés par les États sur leurs emprunts. Toutes ces questions seront expliquées en détail dans un prochain épisode.
Il faut comprendre – et nous en avons les effets sous les yeux – que lorsque les revenus de la population sont réduits par les plans d’austérité et la rigueur, les taxes, cotisations sociales et impôts qu’elle paye le sont aussi ! Pas besoin d’avoir fait dix ans d’études d’économie pour comprendre cela. Pourquoi les oligarques européens ne le comprennent-ils pas ? Ils le comprennent parfaitement bien, mais ils expliquent cette situation par une justification qui est toujours la même : il n’y a pas eu assez de libéralisations, de privatisations, d’ « assainissements », d’ « ajustements », de discipline, de… Ne nous faisons pas d’illusions. À leurs yeux il n’y en aura jamais assez ! D’autant que s’il est relativement facile de faire baisser les recettes fiscales, il est toujours plus difficile de faire baisser les dépenses sociales qui ne peuvent jamais totalement suivre le rythme de diminution des recettes. Sauf à vouloir affamer la population, perspective que n’écartent pas les oligarques européens qui sauront très bien communiquer sur le mode de l’impuissance navrée.
Ce facteur de déséquilibre des finances publiques qui vient des multiples aides, directes et indirectes, accordées aux actionnaires des entreprises et aux ménages les plus fortunés, notamment grâce aux « niches » fiscales, est particulièrement révoltant. Comme les citoyens ne sont pas des demeurés, ils se rendent bien compte que l’austérité que l’on veut leur imposer est injuste. C’est pourquoi les classes dirigeantes mènent une politique de la peur et d’affolement de la population pour tenter de neutraliser sa résistance. C’est grossier, mais ça peut marcher. L’austérité et la remise en cause de la démocratie vont toujours ensemble, car les classes dirigeantes veulent évidemment annihiler toute forme de résistance à ces plans d’austérité.
Au total, ayant tout fait pour développer les marchés financiers et leur assurer une activité sans entrave, les dirigeants euro-libéraux se trouvent aujourd’hui submergés par leur propre créature. Il faut rappeler une nouvelle fois que les traités européens interdisent toute restriction aux mouvements de capitaux, non seulement entre les États-membres, mais aussi entre les États-membres et les États extérieurs à l’Union européenne (article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, appelé Traité de Lisbonne). Il faut se souvenir que cette disposition insensée a été exigée par le gouvernement allemand qui en fit une condition de l’union monétaire. Ce fut précisément pour garantir que les États-membres respecteraient la règle de réduction des déficits publics – règle d’abord implicite puis explicite avec les fameux « critères de Maastricht » - que les gouvernements, cédant à l’exigence des autorités allemandes encore hantées par le spectre de l’hyperinflation de 1923, érigèrent délibérément les marchés financiers non seulement intra-européens mais aussi extra-européens comme surveillant général des politiques économiques de la future zone euro.
Les psychopathes europiomanes qui forment le gros des élites européennes et des cabinets gouvernementaux savaient que de graves troubles économiques, sociaux et politiques résulteraient de cette construction. Ils n’avaient d’autre but que d’engager les pays de la zone euro dans le schéma impitoyable d’une harmonisation sociale et fiscale par le bas et d’une réduction incessante du « poids de l’État ». Un schéma qui nécessite d’entretenir une concurrence farouche entre pays. Il est donc hors de question, de leur point de vue, de permettre une quelconque solidarité internationale. À ce propos il est pathétique d’entendre les lamentations d’une partie de la gauche européenne qui semble découvrir qu’il n’existe aucune solidarité entre les pays membres de l’UE. Et il est tragique de constater que les mêmes, n’ayant rien appris, persistent à prier pour une « Europe solidaire » qui est pourtant interdite par les traités fondateurs eux-mêmes.
Les eurocrates avaient besoin de mettre en place un calendrier qui permette de les prémunir contre toute tendance des gouvernements nationaux à céder aux demandes des populations soumises à une cure d’austérité éternelle. Ce qui risque d’être le cas si les électeurs portent au gouvernement des partis vraiment de gauche. C’est pourquoi ces oligarques ont délibérément mis les États-membres sous la tutelle d’une créature « miraculeuse », en organisant la tyrannie globale des marchés, laquelle aurait le pouvoir de mettre au pas les futurs gouvernements afin de protéger perpétuellement les gains des rentiers et d’appliquer indéfiniment les « réformes » nécessaires pour les garantir, à savoir la casse sociale et la dépolitisation sans fin.
Un facteur aggravant en Grèce tient au fait que les catégories les plus aisées de la population ne payent pratiquement pas d’impôts, notamment au moyen de multiples systèmes d’évasion fiscale. Alors que les salariés du privé et les fonctionnaires sont imposés à la source, les professions libérales déclarent en moyenne un revenu dérisoirement faible, inférieur au salaire moyen des ouvriers. Comme les riches ne payent pas d’impôts et que peu est fait pour les y contraindre, ce sont les pauvres qui payent l’impôt ! On comprend, dès lors, qu’un tel système ne peut qu’encourager l’accélération des déficits publics.
La première chose à faire, dans les pays concernés comme la Grèce, le Portugal ou l’Espagne est donc d’engager, de poursuivre ou d’intensifier les luttes sociales pour l’annulation de toute forme d’austérité ou de rigueur pour la population. L’austérité est comme une seconde nature pour les classes dirigeantes – à condition qu’elle s’applique aux autres – car elle est un puissant moyen de modifier le partage des richesses en leur faveur. Tous les prétextes sont bons pour y parvenir. Dans les cas grec, espagnol, portugais, l’austérité est demandée par les marchés financiers (banques, fonds mutuels, fonds de pension, hedge funds, fonds souverains, grandes entreprises…), l’Union européenne, le FMI et les différents gouvernements européens – dont les gouvernements socialistes grecs, espagnols et portugais – en contrepartie de prêts de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Ces politiques insensées sont menées dans le seul but de « rassurer » les « marchés financiers » alors qu’ils sont le problème et que la solution est de les décapiter.
Où est le « modèle social européen » ? Quelqu’un a-t-il vu le « modèle social européen » ? Après les plans d’austérité qui se sont abattus sur les pays-membres de l’Union européenne, particulièrement ceux de la zone euro au premier semestre 2010, sera-t-il encore possible de parler de « modèle social européen » pour ceux qui, de toute bonne foi, y avaient cru ? Certes un phénomène de « convergence » sociale a pu être observé à la Libération, grâce à la victoire sur le nazisme et aux gouvernements de gauche qui s’étaient installés en Europe. Mais depuis c’est à une autre « convergence » que l’on assiste : celle qui rapproche du modèle anglo-saxon. Les systèmes de protection sociale issus de la Résistance et de la Libération – le programme du Conseil national de la Résistance pour la France – sont peu à peu démantelés par l’Union européenne pour les aligner à la baisse sur ceux des autres pays développés. Telle est la condition, pour les oligarques européens, de la « compétitivité » de l’Union et de sa monnaie unique, l’euro.
Les classes dirigeantes européennes, grâce à la crise de 2010, pensent avoir trouvé une excellente occasion d’affaiblir encore un peu plus le « modèle social européen » issu non pas de l’Union européenne mais de la Libération. Elles en rêvent depuis 1945. Celui qui a probablement le mieux résumé leur pensée est le français Denis Kessler, ancien numéro deux de l’organisation patronale française, le MEDEF. Pour lui, « le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer et le gouvernement s’y emploie […] La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952 sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du CNR » (Challenges, 4 octobre 2007).
Quelle étrange situation ! Cette crise éclate dix ans après le lancement de la « stratégie de Lisbonne », dont on nous avait martelé sur tous les tons qu’elle allait générer « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde ». Dans un autre épisode de ce feuilleton, le M’PEP rappellera les promesses faites au moment du Traité de Maastricht et de la création de l’euro.
Déjà, lors de la réunion ministérielle de l’OCDE qui s’était tenue à Paris le 26 mai 1997, les « experts » de cette organisation estimaient que « le chômage pourrait être divisé de plus de moitié en Europe ces vingt prochaines années pour être ramené aux alentours de 5% ». Mais pour y parvenir il y aurait un prix à payer : celui de continuer, malgré « les pressions protectionnistes et les tensions sociales, à développer les échanges commerciaux et à réformer les marchés du travail dans le sens d’une plus grande flexibilité et d’une réduction des réglementations ». C’est ce qui a été fait, on voit le résultat (La Correspondance économique, 27 mai 1997).
Peu de citoyens des pays européens le savent, mais début 2010 des fonctionnaires grecs, notamment des enseignants, n’avaient pas été payés depuis plusieurs mois. Un exemple parlant pour une « stratégie » qui devait reposer sur la « connaissance ». Certains décrivent le massacre social du peuple grec par l’appellation scandaleuse de « plan d’assainissement ». Non ! Il s’agit d’un violent plan d’austérité. Plus exactement, ce sont plusieurs plans d’austérité successifs qui ont été annoncés par le gouvernement grec. Quatre au total en quatre mois. Du jamais vu. Ces plans se sont succédés en fonction des hésitations des fous furieux qui dirigent l’Union européenne, d’un rapport de forces social en Grèce qui éprouvait des difficultés à se mettre en place, et au fur et à mesure de l’évolution de la situation sur les marchés et des exigences de l’Union européenne et du FMI.
Mi-janvier 2010 : de premières mesures d’austérité en Grèce
Le gouvernement grec prend quelques mesures positives comme l’augmentation des recettes fiscales par la remise en cause de certains privilèges fiscaux, la lutte contre l’évasion fiscale, une taxe exceptionnelle sur les grandes fortunes. Mais il décide aussi de nouvelles privatisations et de mesures brutales contre les fonctionnaires : gel des embauches, fin des contrats à durée déterminée, non-remplacement de 4 départs sur 5 à compter de 2011, réduction des primes, diminution des ressources des hôpitaux de 1,4 milliard d’euros…
Début février 2010, des mesures supplémentaires viennent s’ajouter
- Gel des salaires dans la fonction publique.
- Âge légal de la retraite remonté à 63 ans.
- Augmentation des taxes sur les carburants.
Début mars 2010, 3e plan d’austérité
- Augmentation de taxes (TVA, alcools, tabacs, carburants).
- Augmentation de l’impôt pour les revenus supérieurs à 100 000 euros annuels.
- Gel des salaires dans le secteur privé.
- Gel des retraites pour les fonctionnaires.
- Baisse de 30% du 13e mois et de 60% du 14e mois. Une précision est ici nécessaire, car les grands médias ont mis en exergue le fait que les Grecs, touchant 14 salaires par an, étaient des privilégiés. Il était donc logique qu’ils se serrent la ceinture après avoir vécu au-dessus de leurs moyens et n’avaient que ce qu’ils méritaient. Certes les Grecs reçoivent 14 salaires par an : un salaire mensuel, un 13e mois à Noël, la moitié d’un 14e mois à Pâques et l’autre moitié pour les vacances d’été. Il faut savoir cependant que le salaire minimum mensuel en Grèce est de 668 euros brut (1 343 euros brut en France) et que le salaire moyen mensuel brut est de 750 euros !
Début mai 2010, 4e plan d’austérité
Le 29 avril 2010 le FMI et l’UE demandaient des mesures supplémentaires d’austérité, condition pour que la Grèce obtienne des prêts (Wall Street Journal, 30 avril 2010). Le 2 mai 2010 le Premier ministre grec annonçait un plan de réduction des dépenses publiques de 30 milliards d’euros, occasionnant, de son propre aveu, de « grands sacrifices ». Les autorités grecques acceptaient ainsi un nouveau plan d’austérité, frisant l’acharnement thérapeutique. À la suite du sommet européen du 7 au 9 mai 2010 à Bruxelles, les mesures suivantes étaient prises :
- Le taux principal de la TVA, après être déjà passé de 19% à 21%, passe de 21% à 23%.
- Les taxes sur le carburant, l’alcool, le tabac augmentent pour la deuxième fois de 10%.
- Gel des salaires et des retraites dans le secteur public pendant 5 ans.
- Les primes sont limitées à 1 000 euros par an pour les fonctionnaires et supprimées pour ceux qui touchent plus de 3 000 euros nets par mois. Elles sont plafonnées à 800 euros pour les retraités et supprimées pour ceux d’entre eux dont la pension dépasse 2 500 euros mensuels. Cela représente la suppression de l’équivalent de 2 mois de salaires pour les fonctionnaires.
- Les départs anticipés à la retraite, notamment ceux liés à la pénibilité du travail, sont interdits avant l’âge de 60 ans.
- L’âge légal de départ à la retraite pour les femmes passera de 60 à 65 ans d’ici 2013.
- La retraite à taux plein nécessitera 40 années de travail au lieu de 37. De plus elle sera calculée sur la totalité des années travaillées et non plus sur le dernier salaire. Cette mesure fera baisser le montant des pensions de 45% à 60% selon les cas.
D’après le ministre grec de l’Économie, Monsieur Papaconstantiniou, le déficit budgétaire devra être réduit de 11% du PIB, soit 30 milliards d’euros sur les trois prochaines années, jusqu’en 2012. Cela donnerait un déficit budgétaire de 8,1% en 2010, 7,6% en 2011 et 6,5% en 2012. Le déficit budgétaire devrait être ramené à 3% en 2014, conformément aux « critères » du traité de Maastricht. Pour y parvenir, des privatisations sont prévues comme celles des entreprises publiques de distribution d’eau ou les chemins de fer, qui devraient rapporter entre 5 et 6 milliards d’euros. Il faut ajouter un vaste plan de fusion des municipalités qui permettra de supprimer de nombreux services publics locaux.
En revanche, le plan d’austérité ne touche pas le budget de la Défense. On comprend pourquoi : la Grèce a passé de très grosses commandes de matériel militaire à la France et à l’Allemagne…
La Grèce est devenue le 10e membre de l’Union européenne le 1er janvier 1981 et le 12e membre de la zone euro le 1er janvier 2001. La politique de « convergence » qui lui a permis de respecter les critères de Maastricht afin de pouvoir participer à l’euro s’était déjà traduite par d’importantes mesures d’austérité et de libéralisation. Pour parvenir à faire avaler ces mesures aux Grecs, le profil politique idéal avait été trouvé : un jeune premier ministre, socialiste, économiste, ayant passé la période des Colonels en Allemagne. Nous avons nommé Costas Simitis, surnommé le « Rocard grec ». C’est dire.
Un gigantesque programme de privatisations avait été mené à terme : Banque de Crète, Banque de Macédoine et Thrace, Banque de Grèce Centrale, chantiers navals de Syros, Skaramanga et Elefsina, Électricité de Grèce (DEI), les télécommunications (OTE), Olympic Airways, HAI (armement et aéronautique), la Poste (ELTA), les paris sportifs (OPAP), le port du Pirée (OLP), Eaux et Assainissement de Salonique, le canal de Corinthe, le cabotage…
À la fin de l’année 2000, à la veille de l’entrée de la Grèce dans la zone euro, un rapport du FMI estimait pourtant que ce n’était pas suffisant. Il demandait – déjà - la diminution du nombre de fonctionnaires et la démolition des systèmes de retraite et de santé, « indispensable pour réduire les dépenses sociales ». Il exigeait en outre l’ « accélération de la libéralisation des marchés du gaz naturel et des transports ».
(à suivre)