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6 janvier 2011 4 06 /01 /janvier /2011 15:05
Emmanuel Todd : « Je serais très étonné que l'euro survive à 2011 »

 ZOOM, mardi, 4 janvier 2011, p. 14

Que nous est-il permis d'espérer et que doit-on craindre en 2011 ?

 

Le politologue, démographe et essayiste français Emmanuel Todd a accepté de se livrer, pour nous, à un « bilan et perspectives » étayé, plus spécifiquement centré sur la crise économique et financière qui secoue l'Europe.

 

 

Que retiendrez-vous de l'année 2010, qui vient de s'achever ?

 

Je dirais que ce fut une année charnière. C'est l'année où les croyances, économiques et politiques dominantes de l'Occident sont arrivées au bout de quelque chose.

D'abord dans la gestion de la crise économique. J'ai été frappé par la prise de conscience concernant la relance, telle qu'on l'avait conçue lorsque la crise financière, puis la crise de la demande mondiale ont été diagnostiquées - chose qu'il fallait faire, précisons-le... -, qui n'allait pas suffire. Et pour une raison très simple : les plans de relance ont, à la rigueur, relancé les profits dans les économies occidentales, ont regonflé à un niveau acceptable les indicateurs boursiers, mais n'ont pas fait repartir l'emploi, les salaires. Malgré ces plans, la dégradation du niveau de vie a commencé ; aux Etats-Unis, les indicateurs mettent même en lumière une diminution de l'espérance de vie...

 

Les gens ont donc compris que dans une économie ouverte, dans un régime de libre-échange, si l'on réinjecte des signes monétaires ou des moyens de payement dans l'économie par en haut - plutôt par le système bancaire qu'autrement -, on crée de la demande, mais que cette demande ne modifie absolument pas le mécanisme de la compétition sur les salaires, mais que cela relance tout simplement les économies à bas salaires. En France par exemple, et j'imagine ailleurs, les plans de relance de l'après-crise ont abouti à une accélération de la désindustrialisation et des délocalisations...

 

Un « électrochoc » , donc...

 

Les gens l'ont compris mais, pour le moment, ils ne sont pas allés au bout de la compréhension. Cela réintroduit les différences traditionnelles entre Américains et Européens où, pour une fois, je ne peux plus dire que les Américains sont quand même moins bêtes parce qu'ils ont compris le problème de la demande globale, les mécanismes keynésiens de soutien à la demande, la notion de flexibilité monétaire, etc. On ne peut plus considérer qu'un plan de relance, en économie ouverte, est simplement mieux que les plans d'austérité européens. Les plans d'austérité européens ne sont pas une solution actuellement. Ils vont relancer la crise mondiale, et s'ils remettent l'économie mondiale en crise, pour le coup, l'économie chinoise, qui est gérée de façon extrêmement dangereuse par l'exportation, va s'effondrer. Mais ces plans d'austérité européens traduisent quand même, me semble-t-il, une volonté de ne pas faire de la relance pour autrui... Je dirais qu'ils sont un premier pas vers le protectionnisme, mais dans la mesure où il s'agit d'un protectionnisme par contraction de sa propre demande, c'est ce que l'on peut appeler un « protectionnisme bête » . Moi, je me bats depuis longtemps pour un « protectionnisme intelligent » . Je vais y revenir.

 

C'est le deuxième tournant. Le premier concerne le premier élément de la pensée unique : le libre-échange. Le deuxième est sur l'euro. L'acquis du dernier trimestre de 2010, c'est qu'on est arrivé au bout de la croyance en l'euro comme horizon spécifique pour l'Europe. Il s'agit donc d'une année chargée en termes de prises de conscience !

 

Sur quoi cela pourrait-il déboucher ?

 

Paradoxalement, la crise, l'effondrement de croyances qui font du mal au continent, au monde développé et à la planète, c'est déjà inespéré ! On a trop longtemps vu de sympathiques gouvernements se réunissant paisiblement - ce qui est une bonne chose -, conclure leurs travaux en expliquant qu'ils allaient défendre bec et ongles le mécanisme qui produisait la crise, à savoir le libre-échange. Or, le libre-échange, c'est quoi ? C'est la guerre de tous contre tous sur le plan économique, c'est la concurrence sur le coût du travail, sur l'efficacité économique.

Cela dit, comment va être l'année 2011 ? On va avoir des surprises. Je serais très étonné que l'euro, dans sa forme actuelle, survive à l'année 2011. S'il survit, ce sera dans un contexte de réorientation générale des politiques économiques européennes.

 

Au final, cette crise pourrait donc, selon vous, se révéler positive ?

 

Oui. Mais l'une des choses qui me poussent à être très prudent, c'est la lenteur des processus idéologiques, la lenteur du débat, le caractère un peu amorphe de la société. En France par exemple, la façon dont la crise a ramené à la surface le vieux phantasme de la supériorité des conceptions économiques allemandes, ces choses qu'on entendait telles quelles à l'époque du « franc fort » , dans les années 80, a quelque chose d'inquiétant. Pour expliquer ce phénomène de lenteur, il y a le vieillissement des populations occidentales et ce que j'ai décrit dans mon dernier livre, Après la démocratie (Gallimard/Folio), à savoir un état d'atomisation des sociétés - avec des comportements narcissiques, des gens qui ne se soucient que d'eux-mêmes, une absence de croyances collectives - qui empêche la décision politique.

 

Donc, ce que je ressens, c'est une sorte de tension qui est devant nous, de bras de fer conceptuel entre deux tendances : la crise générale des conceptions qui devrait amener des évolutions et des prises de décisions rapides, et puis cette espèce de lenteur, de sénilité narcissique des sociétés développées, qui suggère que quand même, elles seraient capables de continuer à ne rien faire pendant toute une année...

 

Quid de l'euro, que vous avez évoqué plus haut ?

 

L'image qui me vient, c'est « acharnement thérapeutique » ... L'euro est une abstraction. Les sociétés nationales, avec leurs cultures, existent toujours. Il y a des différences de mentalités, de rythmes démographiques, il y a des traditions de discipline salariale en Allemagne qui ne sont pas concevables en France...

 

En fait, du temps des monnaies nationales, chacune des économies européennes avait son mode de régulation spécifique qui lui convenait. Des bureaucrates abstraits ont posé l'euro là-dessus et, bien entendu, ça ne marche pas. Et toutes les tentatives institutionnelles, bancaires ou autres, pour que ça fonctionne, ne peuvent pas marcher. Tant que l'Europe est en économie ouverte, dans le régime de libre-échange, il y a une guerre économique acharnée entre les économies européennes dans laquelle l'Allemagne est la plus forte parce qu'elle pratique mieux la compression du coût salarial. Mais dans ce contexte, l'euro est une sorte de prison pour tout le monde, pour laisser les plus faibles ou les moins capables se torturer au niveau salarial, à la merci de l'Allemagne. Attention, je n'en veux pas du tout à l'Allemagne : il y a de l'aveuglement et du narcissisme là-bas comme en France...

 

Comment sortir de cette situation ?

 

De deux manières : par le bas ou par le haut. Par le bas, c'est admettre que l'euro est foutu. Puis on en sort et on revient aux monnaies nationales. Pour moi, ce n'est pas optimal : je ne suis pas du tout partisan de la disparition de l'euro. Simplement le système actuel est le pire concevable parce qu'il détruit une partie de l'industrie européenne, il dresse les Européens les uns contre les autres, il met l'Allemagne dans une position de domination mais aussi de cible, d'ennemi collectif pour l'Europe...

 

La sortie vers le haut : on veut sauver l'euro, on y tient vraiment et on accepte l'idée que le problème mondial, c'est le libre-échange, l'insuffisance de la demande. On fait revenir l'Europe à sa conception initiale de la préférence communautaire. On dit que l'Europe a le droit, dans un monde en guerre sur les coûts salariaux, de faire un virage protectionniste. On établit un protectionnisme européen raisonnable, coopératif, qui permet de relancer les salaires, l'investissement, la demande à l'échelle du continent. Dans un tel contexte, on rétablit un intérêt collectif européen, un bénéfice mutuel. Dans le domaine économique, les différences culturelles entre l'Allemagne et les autres pays cesseraient d'être un facteur de conflit et l'Europe retrouverait son véritable avantage compétitif da

ns le monde qui est sa diversité - avec l'euro, on a réussi à faire de la diversité européenne quelque chose de complètement négatif dans ses conséquences.

 

Êtes-vous plutôt optimiste ou pessimiste à ce propos ?

 

Pour moi, l'explosion de l'euro, c'est une probabilité de 90 %. Ce qui provoquerait un trou d'air idéologique formidable mais, dans ce contexte, j'ai très très peur de l'effet de délégitimation des élites. Mais bon, les choses peuvent changer très vite : les populations sont quand même à des niveaux éducatifs très élevés, le sentiment d'une crise est là... Et puis les esprits ont évolué. En France, j'ai passé une dizaine d'années à être considéré comme un rigolo avec mon protectionnisme européen, maintenant ça va très bien pour moi, merci ! Évidemment, la grande réponse, c'est : « Ce n'est pas possible, on ne pourrait pas faire accepter ça aux Allemands, ils sont tournés vers l'extérieur, ils veulent conquérir des marchés en Chine, ils préféreraient d'ailleurs retourner au mark, etc. » Mais la chute de l'euro mettrait l'Allemagne à genoux, et les Allemands sont en train de comprendre qu'ils sont les principaux bénéficiaires de l'euro. Quand des Allemands disent qu'ils en ont marre de l'euro, marre de payer ces plans de sauvetage des États, qu'il faut en retourner au mark, etc., je pense qu'ils bluffent ! Je pense qu'ils ont compris que la fin de l'euro serait un désastre pour l'économie allemande. Et s'ils ont compris cela, il suffirait d'avoir un gouvernement français intelligent, qui arrête de faire des «cocoricos » ridicules, qui admette que l'Allemagne est l'économie dominante et qui lui demande de prendre ses responsabilités à l'échelle du continent, de prendre le leadership dans l'établissement d'un protectionnisme européen raisonnable, qui sera d'ailleurs favorable, en termes d'accroissement de la demande, à l'industrie allemande beaucoup plus que les quelques marchés chinois ne pourraient l'être...

 

Nicolas Sarkozy pourrait-il conclure son mandat de la sorte ?

 

Là, on retombe dans les paramètres lourds, pesants et qui rendent pessimistes.

On a énormément de mal à imaginer Sarkozy dans ce rôle. Si vous regardez sa trajectoire dans son rapport à l'Allemagne, il avait démarré très anti-Allemand. Il scandalisait les Allemands pas juste par sa vulgarité mais parce que de tempérament, il était anti-Allemand et pro-Américain. Il a fini par s'aligner sur l'Allemagne mais il faut tout de même constater la coïncidence chronologique entre la chute du sarkozysme et la remontée en puissance d'une vieille droite conne qui croit au discours de la rigueur, qui pense en termes d'équilibre budgétaire et de choses comme ça...

 

Aujourd'hui, le sens du gouvernement Fillon II, c'est que Sarkozy n'a plus le pouvoir. Il est le premier président de la Ve République qui n'a pas eu le droit de renvoyer son Premier ministre... Donc, quand on dit : « Est-ce que Sarkozy pourrait ? » ... on ne sait plus très bien ce que Sarkozy peut. On n'a donc aucune raison d'être optimiste, d'autant que du côté du Parti socialiste - qui a certes accouché avec beaucoup de difficultés de la notion de « justes échanges » -, c'est très lent aussi. On est dans le people !

© 2011 © Rossel & Cie S.A. - LE SOIR Bruxelles, 2011

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5 janvier 2011 3 05 /01 /janvier /2011 14:44

Textes du M’PEP > Les sondages que l’on nous cache sur l’euro

 
LES SONDAGES QUE L’ON NOUS CACHE SUR L’EURO

Par le Mouvement politique d’éducation populaire (M’PEP).

Le 5 janvier 2011.

Des sondages visant à mesurer l’état de l’opinion publique vis-à-vis de l’euro sont fait régulièrement dans toute l’Union européenne, la plupart en secret. Les classes dirigeantes sont affolées par la montée du mécontentement populaire contre le système de Bruxelles et pour la sortie de l’euro. Elles ont raison ! Car les quelques sondages qui parviennent à filtrer montrent une montée générale, dans toute l’Europe, de la volonté de sortir de l’euro. Ce sont les classes populaires, ouvriers et employés, les jeunes et les femmes, qui sont les plus nombreux à vouloir se libérer de ce carcan.

 

La propagande officielle veut nous faire croire que les gens intelligents, formés, cultivés, diplômés seraient en faveur de l’euro, et que les bêtas, les non qualifiés, les incultes, les non-diplômés, seraient contre. Finalement, le problème serait culturel et non politique, certains comprendraient les problèmes du fait de leur formation, alors que les autres seraient totalement dépassés à cause de leur manque de qualification.

Ces raisonnements fallacieux sont les mêmes que ceux qui avaient été utilisés en 1992 pour expliquer la montrée du « non » lors du référendum sur le traité de Maastricht qui devait décider de l’euro (49% de « non »). Et ce sont aussi les mêmes que ceux de 2005 pour « expliquer » la victoire du « non » lors du référendum sur le traité constitutionnel européen.

 

Si les ouvriers et employés se prononcent majoritairement pour la sortie de l’euro, c’est qu’ils sont les premières victimes des politiques de l’Union européenne : pression sur les salaires, destruction progressive de la protection sociale, licenciements, délocalisations… Ils comprennent parfaitement bien que l’Union européenne joue un rôle extrêmement négatif, depuis le début, en ce qui concerne leurs conditions d’existence. Les autres catégories sociales, plus « protégées », ou moins exposées, ne vivent pas la crise avec autant d’acuité et d’impact sur leur niveau de vie. Pour ces catégories, les artifices rhétoriques vivant à alimenter le mythe européen ont davantage de prise. C’est moins le cas des ouvriers et employés qui comparent plus facilement les discours et les actes.

 

Quant aux jeunes, s’ils rejettent de plus en massivement l’euro et le système de Bruxelles (ils avaient déjà voté « non » en grande proportion lors du référendum de 2005), c’est parce que l’Union européenne est synonyme de chômage et de précarité, d’absence de débouchés, d’une perspective aplatie sur les seules valeurs marchandes, tandis que les discours sur la paix, la solidarité ou la coopération internationale sonnent creux.

 

Les femmes, enfin, plus nombreuses que les hommes à rejeter l’euro, le font car elles sont davantage en contact avec la vie quotidienne. Ce sont elles qui font les courses plus souvent que les hommes et constatent combien les prix augmentent depuis l’introduction de l’euro, malgré la propagande visant à accréditer le contraire.

Voilà l’inventaire qu’a pu réaliser le M’PEP :

Sondage du 9 mars 2009, Les Échos

L’association des commerçants d’un quartier d’Almeria, en Andalousie (Espagne), a rétabli pendant quelques jours l’usage de la peseta. Elle a recueilli 4 millions de pesetas, soit 241 000 euros. Les clients sont venus de toute l’Espagne pour dépenser leurs pesetas, dont certaines dataient de la République et de la guerre civile. Selon le journal El Mundo, 35% des 18-29 ans interrogés sont favorables au rétablissement de la peseta, contre 27% pour l’ensemble de la population.

 

Sondage réalisé du 12 au 17 mai 2010 par l’IFOP pour la Fondation pour l’innovation Politique

Ce sont 20% des Grecs interrogés qui pensent que sortir de l’euro serait une « bonne chose » ; 15% sont favorables à la sortie de l’Union européenne.

 

Sondage des 21 et 22 mai 2010 réalisé par l’Institut LH2 pour nouvelObs.com

Ce sont 29% des Français interrogés qui pensent que la France devrait quitter la zone euro : ouvriers (42%) et employés (38%), personnes ayant un diplôme inférieur au baccalauréat (43%).

 

Sondage réalisé du 27 mai au 1er juin 2010 par l’institut Novus Opinion pour le quotidien d’affaires suédois Dagens Industri

Ce sont 61% des Suédois interrogés qui sont opposés à l’euro. Le même sondage comparable réalisé en mai 2009 donnait 44% contre.

 

Sondage des 9 et 10 juin 2010 réalisé par Publicis Consultants et TNS Sofres pour Europe 1, iTélé et Le Monde

Pour 62% des Français interrogés, l’euro a tendance à aggraver les effets de la crise : 76% des ouvriers et 85% des employés pensent que l’euro est un facteur aggravant de la crise.

 

Sondage réalisé du 10 au 12 novembre 2010 par l’IFOP pour la Lettre de l’Opinion

Ce sont 35 % des Français interrogés qui sont favorables à ce que la France quitte l’euro et revienne au franc : 52% chez les ouvriers et 50% parmi les employés ; sympathisants d’extrême-gauche (60%) ; sympathisants du PS et de l’UMP respectivement 37% et 27%.

 

Sondage réalisé du 29 novembre au 1er décembre 2010 pour ARD TV Deutschlandtrend

Environ 60% des Allemands interrogés pensent qu’ils ont été perdants en adoptant l’euro et auraient préféré garder le deutschemark.

Sondage des 7 et 8 décembre 2010 pour la première chaîne de télévision allemande ARD

Ce sont 36% des Allemands interrogés qui souhaitent le retour au Deutschemark.

 

Sondage du 10 décembre 2010

Au Portugal, 29% des personnes interrogées estiment que le pays doit quitter l’euro.

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30 décembre 2010 4 30 /12 /décembre /2010 20:20

Indignez-vous! Il y a de quoi quand on lit " Les dessous de Bruxelles"

José Manuel Barroso et son escouade de commissaires à gages

Le 23 novembre 2004, José Manuel Durão Barroso prenait la présidence de la Commission. « La Commission européenne passe encore plus sous le contrôle des Thatchériens » s’exclame un an plus tard le conservateur The Daily Telegraph [1], à la suite de remaniements à la tête de l’administration bruxelloise. La référence à l’ancienne Premier-ministre britannique pourrait sembler anachronique, plus de dix ans après son retrait de la vie politique. Et pourtant. L’ancien maoïste Barroso aurait véritablement eu de quoi séduire la « dame de fer » : anticommuniste, atlantiste et libéral patenté, il a su rassembler autour de lui une équipe de choc à même de poursuivre le travail déjà réalisé par ses illustres prédécesseurs.
José Manuel Barroso et son escouade de commissaires à gages

Sans renier pour autant son mérite, Barroso avait de qui tenir. Nous avions déjà évoqué le bilan flatteur de certains de ces « hommes de main de la dame de fer » qui ont façonné l’UE au cours des décennies 80 et 90. Cockfield, Sutherland, Brittan, avec le soutien de Davignon et Delors, ont, entre autres, contribué à abattre une à une les « barrières réglementaires » au libre-échange et entamer la libéralisation de nombreux secteurs de l’économie européenne (télécom, transport aérien, énergie).

Barroso jouissait par ailleurs d’une conjoncture favorable : en 2004, la débandade sociale-démocrate en Europe était quasiment complète, sinon en Espagne avec l’élection de Zapatero. Schröder venait de quitter la présidence du SPD face aux critiques qui l’accusaient de vouloir la fin de l’Etat-providence allemand [2] ; un an plus tard, il sera battu par Angela Merkel lors de législatives anticipées.

Quant à Tony Blair, personne ne s’amusait guère encore à le qualifier de socialiste. Exprimé par son ami Peter Mandelson, le coming-out du new labour ne devait, à ce titre, plus surprendre personne : « Nous sommes tous des thatchériens » témoignait le néo-travailliste dans une tribune publiée en 2002 par le Times. C’est d’ailleurs Blair qui appuiera de manière décisive la nomination de Barroso à la tête de la Commission, contre Guy Verhofstadt jugé trop fédéraliste, et pas assez atlantiste [3]. Les allemands et français finiront par s’en accomoder : libéral dogmatique certes, mais néanmoins diplomate et tortueux, « dur d’argile » (la traduction très approximative de « durão barroso ») fera finalement l’unanimité.

L’ami José Manuel va donc disposer d’un boulevard pour continuer l’œuvre de ses prédécesseurs, avec la bénédiction des gouvernements conservateurs en Europe. Au programme : attaques en règle contre les services publics, qui opposent toujours et encore au bon sens des marchés et de l’enrichissement privé les mythes vieillots de l’intérêt général (non lucratif), de la gestion publique (bureaucratique) et de l’Etat-providence (obèse).

A son actif, la Commission Barroso a poursuivi et mené à leur terme les processus de libéralisation des transports ferroviaires [4], des services postaux [5] et de l’énergie (gaz et électricité) [6]. Conséquence presque mécanique dans les différents secteurs : la privatisation des entreprises publiques (comme c’est le cas en France de GDF-Suez, et bientôt EDF) ou du moins leur transformation progressive dans cette perspective (La Poste, la SNCF). Dans tous les cas, le passage à un management « d’entreprise » est la règle, avec ses conséquences : réduction des coûts salariaux, marketing à outrance (le cas de la SNCF et de la Poste est particulièrement explicite), et augmentations substantielles des prix pour « être à l’écoute du marché ».

Mais l’application minutieuse des bonnes vieilles recettes de mamie Thatcher ne s’arrête pas aux seules privatisations. Les marchés doivent être placés au coeur du processus de décision, qu’il s’agisse de l’environnement (avec la finance carbone, la réforme de la PAC, et plus généralement le « capitalisme vert »), de l’Université et de la recherche (avec la « stratégie de Lisbonne ») ou de la politique régionale (avec le développement des partenariats « public-privé » et la promotion de l’« attractivité » des territoires, du « nouveau management public »).

Pour mener à bien de tels chantiers, il fallait réunir une équipe de fines lames. A ce titre, le collège des commissaires de l’ami José s’avère être une véritable dream team.

A commencer par Charlie Mc Creevy, ancien ministre des finances irlandais. « Le pire », si l’on en croit la presse irlandaise [7] qui lui reproche aujourd’hui ses réformes de l’imposition sur les sociétés (passée de 50% à 12%) et la mise en place d’un laissez-faire total dans le domaine des services financiers… Le père de la crise irlandaise a aussi sévi à la Commission, à la tête de la direction « services et marché intérieur », en poursuivant contre vent et marées la déréglementation des services financiers et le développement de l’« innovation financière » (dont les fameux CDS qui permettent de spéculer indifféremment sur les prix des matières premières comme sur les taux des obligations des Etats).

Même après la crise financière de 2008, alors que de timides propositions étaient faites à la Commission pour mettre un peu d’ordre dans le grand foutoir de « l’innovation financière », il opposa une franche hostilité à réguler les services financiers en expliquant que « ce n’est pas le manque de réglementation qui est à l’origine de cette crise financière [8] ». Puisque tu le dis, Charlie…

Il faut dire qu’on touchait là à une de ses cordes sensibles. Car McCreevy est un véritable pourfendeur de réglementation, il a ça dans le sang. Ce féru de paris sportifs et ami des bookmakers irlandais a notamment fait preuve d’une grande insistance pour ouvrir à la concurrence le marché des jeux et des paris. Et d’une obstination non moindre dans son refus d’édulcorer la directive « services », héritère de la directive Bolkestein, malgré l’opposition de l’Allemagne et la France (dont les gouvernements ne souhaitaient sans doute pas « assumer » les conséquences électorales…) [9].

Pour finir en beauté, à son départ de la Commission en 2010, alors qu’il était en charge de la (dé)régulation financière, il trouva à se reconvertir... au conseil d’administration d’un établissement financier (NBNK Investments). Il fut à ce titre le premier commissaire de l’histoire de l’Union européenne à se voir refuser un pantouflage depuis la mise en place d’un « comité éthique » par la Commission. Un véritable exploit, mais, sembe-t-il, à Charlie rien d’impossible.

Son collègue et commissaire à la direction Entreprise et Industrie, Günter Verheugen, aura quant à lui plus de réussite. En tant que commissaire, il était déjà « critiqué pour son favoritisme à l’égard des intérêts des grandes entreprises, aux dépens des préoccupations sociales et environnementales » comme le rappelle Bastamag [10]. Il a carrément choisi pour sa reconversion... de fonder sa propre agence de lobbying, « European Experience Company ». Et il compte déjà comme clients la Banque Royale d’Écosse (Royal Bank of Scotland), l’agence de lobbying Fleischman-Hillard, l’organisation bancaire allemande BVR, et l’Union turque des chambres de commerce et des bourses (Turkish Union of Chambers and Commodity Exchanges)[Id.]].

Günter n’est pas le seul Commissaire doté de l’« esprit d’entreprise ». En tout, sur 13 commissaires sortants, ce seront 6 commissaires de la Commission Barroso I qui rejoindront le privé : Meglena Kouneva, ex-Commissaire bulgare à la protection des consommateurs à BNP Paribas. Joe Borg, ex-Commissaire malte à la pêche et aux affaires maritimes au cabinet de lobbying FIPRA [11]. L’ancienne commissaire autrichienne Benita Ferrero-Waldner rejoint quant à elle le conseil de surveillance du champion allemand de la réassurance, Munich Re. « Coïncidence : en tant que commissaire, elle s’était impliquée en faveur du projet « Desertec », un plan d’approvisionnement électrique de l’Europe par un réseau de centrales solaires en Afrique du Nord… dont Munich Re est l’un des acteurs principaux » note Bastamag, avec une petite pointe de mauvais esprit.

Il faut dire qu’une autre commissaire n’avait pas attendu pour goûter aux délicieux jetons de présence des conseils d’administration des grandes firmes européennes : Neelie Kroes, « Nickel Neelie » [12], la commissaire hollandaise, placée par Barroso au poste stratégique de la direction « concurrence ». Elle fut même critiquée par le Parlement européen en raison de nombreux conflits d’intérêts potentiels : elle a détenu un mandat d’administrateur dans 43 grandes entreprises (Thales, Volvo, Lucent Technologies, etc.) et siégé au board de 12 entreprises européennes [13].

Au cours de son mandat, la « chienne de garde de la libéralisation », comme la surnomme l’Express [14], a tout particulièrement œuvré à la mise en concurrence des secteurs à monopoles « historiques », en instrumentalisant occasionnellement l’antitrust comme arme de persuasion (comme ce fut notamment le cas dans le secteur de l’énergie).

Un tableau auquel il faudrait ajouter Peter Mandelson, l’ami libre-échangiste de Blair, digne successeur de Brittan au commerce extérieur. Et Louis Michel, commissaire belge au développement, conseillé par l’inenarrable Etienne Davignon (membre du conseil d’administration de Suez – multinationale qui cherche accessoirement à développer ses activités commerciales dans les domaines de l’eau et de l’énergie en Afrique). Bref, n’en jetez plus…

Avec de tels spécialistes aux manettes (Verheugen, Kroes, Mc Creevy, Mandelson, Barroso), la messe était déjà dite en 2004 : la flamme du Thatchérisme serait vivace au cœur même des institutions européennes. Ce qui ne sera pas sans déplaire à la majorité conservatrice européenne, qui reconduira Barroso pour un second mandat en 2009, avec quelques nouvelles têtes. La Commission Barroso I restera quant à elle le symbole, à l’échelle européenne, du fourvoiement complet et de l’échec du « social-libéralisme » ; celui de Blair, Schröder, Jospin/Strauss Kahn et bien d’autres, dont les capitulations libres et non faussées n’auront guère fait que renforcer le conservatisme libéral qui sévit en Europe depuis déjà bien trop longtemps. Pour s’en débarasser, il faudra inventer autre chose...
Eric Scavennec

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27 décembre 2010 1 27 /12 /décembre /2010 13:15
Espagne : les syndicats manifestent aussi contre la future réforme des retraites
(source Résistance Sociale)
Mis en ligne le 19 décembre 2010

Les deux grands syndicats espagnols, UGT et CCOO, ont organisé samedi une quarantaine de manifestations contre la future réforme des retraites, dont un rassemblement à Madrid.

Sous les slogans "la mobilisation continue" et "non à la retraite à 67 ans", ces 2 syndicats entendaient faire monter la pression contre le gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero qui compte présenter fin janvier sa réforme des retraites.

"C’est une nouvelle journée de lutte parce que le gouvernement espagnol veut allonger la durée de cotisation et reculer l’âge de départ à la retraite à 67 ans", selon Juan Carlos Caceres, chef de la branche ferroviaire de CCOO. "C’est une attaque directe portée aux droits des travailleurs, qui souffrent déjà de la crise depuis deux ans".

Repousser l’âge légal de départ à la retraite de 2 ans, comme le prévoit M. Zapatero, "n’a pas de sens alors qu’on a un niveau de chômage des jeunes très élevé", a déclaré une ex-employée de Telefonica au chômage, Maria Eugenia Marcos, qui participait à la manifestation.

Ignacio Fernandez Toxo, qui dirige CCOO, a agité la menace d’une nouvelle "grève générale" après celle du 29 septembre contre la réforme du travail. "Il y aura une grève générale, en janvier" si José Luis Rodriguez Zapatero persiste à vouloir repousser à 67 ans l’âge légal de départ à la retraite, a-t-il averti.

La grève générale de septembre était la première depuis que M. Zapatero est arrivé au pouvoir en 2004 et visait à mobiliser contre la réforme contestée du droit du travail, pour rendre plus flexible l’emploi.

Le Parti socialiste (PSOE) a conclu cette semaine un accord partiel sur la future réforme avec le principal parti d’opposition, le Parti populaire (PP, droite), concernant l’allongement de la période de référence pour calculer le montant des retraites.

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25 décembre 2010 6 25 /12 /décembre /2010 11:13

Droit d'ingérence : « deux poids, deux mesures » ?

Le Nouveau Bastille République Nations

Depuis plusieurs jours, la communauté internationale exige le retrait du président ivoirien Laurent Gbagbo. En revanche, le Conseil européen n'a pas pipé mot sur le récent rapport qui lève le voile sur les anciennes «activités maffieuses» de l'actuel Premier ministre kosovar Hashim Thaçi. Pour le Nouveau Bastille-République-Nation, le droit d'ingérence ne s'exprime pas toujours de la même façon selon les pays...



L’actualité présente parfois de facétieuses coïncidences. Le parlementaire suisse Dick Marty vient de lever le voile sur les antécédents de l’actuel Premier ministre kosovar en éclairant l’histoire du mouvement de guérilla séparatiste qu’il dirigeait à la fin des années 1990 : l’UCK était alors le fer de lance du crime organisé, et se livrait au trafic d’organes. Certes, M. Thaçi a qualifié ce rapport de « scandaleux » et reposant sur des « faits sans fondement ». En réalité, M. Marty, qui avait déjà embarrassé les dirigeants européens en révélant l’affaire des prisons secrètes de la CIA, ne fait que confirmer ce que d’autres enquêtes avaient déjà pointé, notamment celle de Carla Del Ponte, ancien procureur peu suspecte de parti-pris pro-serbe.

Le rapport précise que les parrains américains et européens de M. Thaçi n’ignoraient rien de ses activités maffieuses. Ils l’ont cependant soutenu dans son ascension jusqu’à la tête de l’actuel gouvernement du Kosovo. Le Conseil européen, réuni les 16 et 17 décembre, n’a pas jugé utile d’évoquer le sujet.

Sans doute était-il trop occupé à menacer le président de la Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo. On sait que la Commission électorale de ce pays a proclamé la victoire de son rival, l’ancien dirigeant du FMI, Alassane Ouattara, à l’issue du second tour de l’élection du 28 novembre. Prenant en compte certaines fraudes alléguées, la Cour constitutionnelle ivoirienne a en revanche déclaré vainqueur le président sortant. Ladite Cour, comptant en son sein « des proches du président Gbagbo », la « communauté internationale », relayée par les grands médias, a balayé sans examen cette décision, pourtant formellement conforme aux procédures du pays. L’ONU (après quelques réticences de la Russie), l’UA et l’Ue ont choisi leur camp, celui de l’homme du FMI, et fait d’avance porter les responsabilités des violences au président sortant. Les Vingt-sept n’avaient d’ailleurs pas attendu le scrutin pour afficher cette préférence.

A Bruxelles, on a donc joué les vertus indignées. Le Conseil européen a enjoint aux « dirigeants ivoiriens, civils et militaires, de se placer sous l’autorité du président élu ». Et pris des sanctions contre ceux qu’il accuse de ne respecter « la volonté souveraine du peuple ivoirien ».

Les dirigeants européens n’avaient pas eu exactement la même farouche détermination à faire respecter « la volonté souveraine du peuple » irlandais lorsqu’ils ont contraint ce dernier à inverser son verdict référendaire de juin 2008. De même, le contraste est remarquable entre les foudres dirigées contre Laurent Gbagbo, et le soutien témoigné jusqu’à aujourd’hui à Hashim Thaçi et au PDK, ex-UCK arrivée au pouvoir par la grâce d’actions qui eussent ailleurs été qualifiées de terroristes (appuyées il est vrai par les bombardements euro-atlantiques).

Ce « deux poids, deux mesures » révèle à quel point les discours lénifiants sur les droits de l’homme et l’état de droit servent de couverture à une volonté de faire prévaloir des intérêts inavoués. La pression exercée aujourd’hui sur la Côte d’Ivoire succède à celle qui le fut sur le Zimbabwe hier, et qui pourrait l’être à nouveau sur le Soudan demain.

En matière de sanctions, l’Afrique est servie. Et pour cause : les sanctions ne peuvent exister que des puissants vers les faibles. Ainsi, le regretté George Bush accéda à son premier mandat grâce à une élection, en 2000, dont les résultats avaient probablement été inversés par des tripatouillages en Floride, ce que la Cour suprême (tiens, là aussi…) valida au terme de plusieurs jours de cafouillage. On ne sache pas que l’Union européenne ait intimé l’ordre aux « dirigeants américains, civils et militaires, de se placer sous l’autorité du président » Albert Gore. Quant à la Côte d’Ivoire, elle eût été bien audacieuse d’imposer des sanctions à Washington.



En réalité, le principe même de l’ingérence gangrène immanquablement les relations internationales. Pour être pacifiques, celles-ci ne peuvent supporter d’être bâties sur un rapport d’inégalité. Comme l’affirmait le texte fondateur de l’ONU, « aucune disposition de la présente Charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale ». Cela fait hélas longtemps que ce principe est allègrement piétiné par l’ONU elle-même, sous pression de la logique impériale enrubannée d’arrogance humanitaire.

Dans le cas présent, il conviendrait que les Ivoiriens, seuls, décident de leur sort. A moins que le choix d’un président ne relève déjà plus de la compétence nationale ?
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18 décembre 2010 6 18 /12 /décembre /2010 11:59
Suite de l'article sur la medecine humanitaire pro US

 

Kosovo (2) : un pays où l’on retrouve les mêmes

Avant d’évoquer les ramifications de cette histoire incroyable de prélèvements d’organes, il convient de faire un détour sur l’état actuel du Kosovo, sous l’emprise d’un tel gouvernement et d’un tel premier ministre. Le cas de l’intervention US au Kosovo rappelle par bien des aspects en effet celui de l’intervention en Irak. On sait que les américains, outre les bombardements intensifs visant Saddam Hussein, spécifiés par un étrange individu dont je vous ai aussi conté l’histoire, avaient aussi amené dans leurs bagages les futurs maîtres du pays, même si ces derniers avaient déjà eu des ennuis judiciaires et des amitiés parfois douteuses, comme ils l’avaient fait aussi avec l’Afghanistan en ramenant Karzaï et son encombrante famille. Le système avait été en fait rôdé au Kosovo, où les pires opposants à Milosevic étaient devenus les alliés naturels des américains. Ce sont les troupes de l’UCK qui ont en effet guidé au sol des bombardements US, notamment sur des objectifs qui n’étaient pas toujours militaires. Et comme en Afghanistan et en Irak, une fois la guerre terminée, ce sont les mêmes genres d’individus qui se sont partagés l’argent frais de la reconstruction, à laquelle a participé l’Europe, via ses alliés de l’Otan. Et comme en Irak et en Afghanistan, on a vu apparaître les mêmes noms de firmes américaines, ces profiteuses de guerre si connues, du moins tout autant que leurs responsables, tous liés aux neocons. Les membres de l’UCK étaient corrompus jusqu’à la moelle et les américains le savaient. Ils ont néanmoins conclu avec eux des contrats juteux, sans jamais chercher à faire disparaître le fléau : on peut en conclure que le Kosovo a servi de modèle, par l’ampleur des détournements qu’on a pu y voir, aux deux autres conflits qui lui ont succédé. Le système US a une tendance innée, semble-t-il, à produire partout des clones d’Hamid Karzaï.

A ce moment là, l'Europe hésite encore : certains ont déjà vu les photographies terribles de prisonniers squelettiques enfermés dans des camps ressemblant par trop à ceux libérés en 1945 en Allemagne. Une photo qui les a choqués. Provenant d'une campagne de "sensibilisation" au problème vient d'être lancée par Médecins du Monde, qui a reçu l'année précédente le Prix Nobel de la Paix. Cette histoire, je vous l'avais racontée le 22 mai 2007.  "La photo sélectionnée montre les prisonniers d’un camp serbe en Bosnie, derrière des barbelés. Sur la photo, un directeur artistique mal intentionné a jugé bon de rajouter un mirador emprunté à une autre photo... celle d’un camp nazi, celui d’Auschwitz. Ce qui s’appelle forcer la main. Le texte indique que "là-bas, on exécute en masse". Douze ans plus tard, Kouchner rencontre Izetbegovic, le dirigeant musulman, alors mourant, qui avait crié au crime d’extermination : - Kouchner : "C’étaient d’horribles lieux, mais on n’y exterminait pas systématiquement. Le saviez-vous ?" - Izetbegovic : "Oui. L’affirmation était fausse. Il n’y avait pas de camp d’extermination quelle que fût l’horreur des lieux. Je pensais que mes révélations pourraient précipiter les bombardements". L’affichage a peine terminé, en France, débutent les bombardements intensifs sur le Kosovo. L’image fabriquée a marché au-delà des espérances. Et cela, Kouchner aussi le savait". 

 

En fait de bombardements, cela va prendre une ampleur démesurée. L'Otan déclenchera les premiers vols le 24 mars 1999, après que Slobodan Milosevic ait refusé un accord pour arrêter la répression des forces serbes contre l'Armée de Libération du Kosovo (autrement dit l'UCK). Les américains ne vont pas y aller de main morte : "quelque 15 tonnes d’uranium appauvri, renforçant plus de 50 000 bombes et missiles, ont été larguées durant les 11 semaines de bombardements de la Serbie en 1999. Les cibles des bombardements de l'Organisation du Traité Atlantique Nord (OTAN) consistaient en 116 sites, surtout au sud de la Serbie et dans la région du Kosovo" précise Vesna Peric Zimonjic. Dix ans après, les retombées des principes actifs qui se dégagent de ses armes se font toujours sentir.  "Le taux des leucémies chez l’enfant au Kosovo était de un pour mille avant 1999. Depuis 1999, il est passé à un pour cent. Le Dr. Srbljak, qui aide dans une clinique de cancérologie de Pristina, la capitale du Kosovo, a déclaré que les médecins albanais lui ont dit aussi qu'il y avait « une augmentation importante » du nombre de patients atteints de cancers depuis 1999. Dans l'ensemble du Kosovo, a-t-il dit, le taux de cancer avant 1999 était de 10 pour 300 000, et « aujourd'hui, il s'élève à 20 pour 60 000. Une augmentation alarmante des cas de cancer a aussi été enregistrée en Bosnie-Herzégovine voisine, où, en début 1995, de l’uranium appauvri a été utilisé par l'OTAN contre les forces serbes de Bosnie". En ce sens, le Kosovo a bien servi de laboratoire d'essai aux armes utilisées après en Afghanistan et en Irak, pays où le taux de leucémies et de naissances d'enfants difformes est en croissance exponentielle. Le 8 janvier 2001, Bernard Kouchner, devenu chef de la Mission de l'ONU au Kosovo (Minuk) avait pourtant bien demandé un rapport sur les effets de l'uranium appauvri pendant le conflit dans les Balkans en 1999. Selon l'OMS et le département de la santé du Kosovo, il n'y aurait eu "aucune augmentation notable du nombre des cancers enregistrés parmi les adultes de la région au cours des quatre dernières années". Mais depuis que l'on sait que pour lui la "maison jaune" où se passaient les prélèvements d'organes n'existait pas, on est tenté de mettre en doute ses propres conclusions sur le sujet.

 

Les bombardements seront d'une telle intensité que des bavures se succéderont, la pire du genre étant l'attaque de l'ambassade de Chine à Belgrade même, le 7 mai 1999, "confondue avec la Direction yougoslave des services et des approvisionnements" selon l'armée américaine. Elle tentera bien de se disculper en indiquant qu'elle avait utilisé "d'anciennes informations" sur la localisation du bâtiment... qui n'avait pas bougé depuis quatre années auparavant. Le doute était diffcilement crédible : "Selon d'autres sources, la planification de chaque bombardement d'objectif mobilise des douzaines d'officiers en Europe et aux États-Unis chargés de rassembler des renseignements, de calculer le risque de pertes civiles, de décider du type de munitions à utiliser et d'identifier le point moyen des impacts où la bombe est susceptible de causer le plus de dommages." La preuve en étant, quelques années après, la découverte du rôle du planificateur des bombardements visant la seul personne du dictateur de Bagdad qui connaîtra une autre vie étonnante après ce travail de ciblage... aussi râté, Saddam Hussein ayant déjoué toutes les attaques menées contre lui en se déplaçant rapidement... et sans l'aide de sosies comme on a ou le dire à tort. 

Des bombardements où l'on va glisser des nouveautés : c'est pendant les attaques contre la Serbie que l'on découvrira les bombes électromagnétiques, larguées au dessus des transformateurs électriques pour faire disjoncter tout le réseau, couper toutes les liaisons téléphoniques, déstabiliser les signaux électromagnétiques des voies de chemin de fer, etc . Les "HPM-E bombs" sur base de bombe classique MK84. Des nuages noirs resteront longtemps en l'air au dessus des zones bombardées, sans qu'une seule goutte de pluie n'en tombe. 

 

Car en dehors de l'ambassade, le pays a été soumis à un déluge de bombes comme rarement vu alors : "Surtout lorsque l'on sait que la tragédie de l'ambassade n'est en fait que le dernier de toute une série de « dommages collatéraux » supposés, dont notamment l'utilisation de bombes à billes qui ont tué plus d'une douzaine de personnes dans un hôpital et au marché de Nis la veille seulement. Mais au lieu de cela, le bombardement de Belgrade et des autres grandes villes yougoslave a atteint une nouvelle intensité dans les nuits de samedi et dimanche derniers. Les jets de l'OTAN ont en effet frappé des objectifs à Kragujevac, ville située à 100 km au sud de Belgrade, y blessant 13 civils, bombardé une gare ferroviaire près de Kraljevo en Serbie centrale, lancé deux missiles sur l'autoroute principale reliant Belgrade et Nis et attaqué un autre pont sur le Danube au centre-ville de Nis." Les images des attaques successives aux bombes cluster, en pleine ville, resteront dans les mémoires et préfigureront étrangement celles des premières heures de l'attaque de Bagdad 4 ans plus tard. Les habitants de Belgrade voient les ponts de Tito sur le Danube devenir ferraille tordue. Les dégâts sont partout considérables. Le Time ose même titrer "un bombardement massif (de la Serbie) ouvre la porte à la paix"  ! Tout le monde a gardé en tête la bavure de Leskovac, le 12 avril 1999, dans laquelle un train civil sera bombardé à la bombe incendiaire, sur le trajet 393, reliant Belgrade à Thessalonique, en Grèce. A Luzina même carnage inutile. Sur la route de Prizren-Djako, même bavure. Pour le cas de Leskovac, les images retrouvées après des caméras des avions US ayant bombardé sont sans ambiguité : il fallait être aveugle pour prendre les wagons pour autre chose que des wagons civils  ! Pourquoi donc, dans ce conflit, avoir autant choisi d'objectifs civils ? Sur les injonctions de l'UCK, qui réglait en même temps des comptes ?

 

Pour ce qui est de l'ambassade chinoise, c'est une autre affaire, note Mike Head, qui semble bien avoir compris beaucoup de choses avant le 11 septembre 2001 : "Alors que tout indique que l'attaque contre l'ambassade a été préméditée, il est bien possible que le président Clinton n'ait personnellement jamais eu connaissance de ce plan. Connaissant la nature byzantine des luttes entre la Maison Blanche, le Pentagone, la CIA et les autres éléments de l'establishment politique et militaire des États-Unis, il est bien possible que ce raid aérien ait été planifié pour mettre dans l'embarras l'administration Clinton, provoquer l'escalade de la guerre et ainsi adopter un ordre du jour encore plus militariste. Des sections des forces armées ont déjà caché à grand peine leur dégoût pour Clinton. D'importantes factions au sein de l'élite dominante ont également exigé que la politique militaire et diplomatique des États-Unis soit plus unilatérale et, il y a peu, étaient prêtes à destituer Clinton pour y arriver. Une chose est certaine, les éléments les plus brutaux et agressifs des États-Unis exercent une influence énorme dans la politique étrangère de ce pays, ce qui a des conséquences incalculables dans les affaires internationales"

Selon Mike Head, donc, des "éléments" de "factions" au sein de l'armée et de la politique américaine, auraient donc chargé la mule serbe, cherché à ravager avant tout le pays, au mépris des victimes civiles, ces fameux et sinistres "dommages collatéraux" découverts lors du premier conflit contre Saddam Hussein. Ravager le pays, détruire ses capacités industrielles, refaire une Blitzrkrieg, mais dans quel but exactement ? D'écraser un état dont l'armée ne présente que peu de danger, ou plutôt chercher à le ruiner ? Une autre idée apparaîtra très vite dès la fin du conflit et Milosevic chassé : celle de le reconstruire, après l'avoir détruit. En attribuant une majeure partie des projets de reconstruction à ceux qui avaient bombardé le pays : une nouvelle façon de vendre, certainement. Une nouvelle façon d'envisager les rapports économiques et d'enrichir.... l'agresseur, en définitive. En ce sens, le Kosovo a servi de ballon d'essai, pour sûr. 

 

Un ballon d'essai transformé grâce à l'aide des nouveaux maîtres du pays. Le défilé des mercenaires et des fournisseurs de béton va pouvoir commencer. Ainsi, le 25 mars 2008 avec la signature d'un contrat de 16 millions de dolllars pour Dyncorp.  "Le Commandement des forces interarmées de l'OTAN, à Naples a attribué un DynCorp International un contrat pour fournir la base dde services de soutien aux forces de l'OTAN à Pristina, Kosovo. Les travaux seront exécutés par MPC Ltd, une filiale en propriété exclusive de DynCorp International enregistrée en Angleterre et au Pays de Galles. DCH Ltd s'appelait autrefois DynCorp-Hiberna". Apprenait-on. Dès 2002, déjà, Dyncorp avait bénéficié d'un contrat pour former la police nouvelle du pays. Comme en Irak ! Pas moins de 450 américains avaient été détaché pour cela en Bosnie, sous le contrôle des Nations Unies : tous étaient de chez Dyncorp. Salaire des formateurs pour convertir les tueurs de L'UCK en policiers : 101 000 dollars l'année... Manque de chance, certains étaient vite tombés dans le circuit des prostituées du coin, toutes maquées par...L'UCK ! Dès juin 2001, le scandale avait éclaté... pour être vite étouffé. La plainte été venue du dénommé Ben Johnston, un mécanicien de Dyncorp dédié à l'entretien des hélicoptères Apache et Blackhawk au Kosovo, qui avait attaqué son employeur pour "comportement pervers, illégal et inhumain, achat d'armes illégales, prostitution et usage de faux passeports et participation à des actes dégradants". Ce que confirmait en 2002 une autre employée de Dyncorp, Kathryn Bolkovac, devenue depuis sujet d'un film ("The Whistleblower") racontant la dérive mafieuse de Dyncorp en Bosnie. En 1999, Dyncorp avait gagné 1,4 milliard de dollars, essentiellement grâce aux contrats du Pentagone.

La corruption du pays est endémique. Et le Kosovo est devenu un nouvel Irak, à savoir un eldorado pour les firmes américaines profiteuses de guerre bien connues. A l'origine ; les attributions de marchés publics dans des conditions douteuses, à la "no bid" irakienne, ou presque, tant il n'y a pas de concurrence parfois (où l'on crée les critères de respectabilité pour mieux les flouer). Car derrière, on retrouve les mêmes individus ; à savoir les mêmes... américains, dont un sempiternel faucon bien connu , ainsi pour la construction de l'autoroute principale du pays : "L’appel d’offres a été emporté par la filiale turque de la multinationale américaine Bechtel,liée à l’ancien vice-président Dick Cheney, firme qui met la main sur la plupart des contrats dans les pays où l’armée américaine a dirigé une intervention militaire contre les régimes en place. L’attribution du contrat, dont les conditions n’ont pas été rendues publiques, suscite des polémiques. « Huit millions d’euros le kilomètre, c’est l’autoroute la plus chère d’Europe », relève le journaliste du quotidien Zeri, Laudim Hamidi. C’est déjà Bechtel Enka qui a construit l’autoroute traversant l’Albanie, un projet dont le coût a été renchéri de deux fois et demi entre le début et la fin des travaux, et c’est la même firme qui conduit en Roumanie d’interminables travaux contestés. A chaque fois, le mot corruption est lâché." Et à chaque fois, c'est bien l'ombre de Dick Cheney qui réapparaît derrière les contrats mirifiques !

 

C'est en effet quand même étonnant de retrouver Bechtel à cet endroit ! Et celui de Dick Cheney, décidément présent sur tous les coups tordus dans le monde ! Quand ce n'est pas avec Halliburton (dans le Golfe du Mexique, où la qualité de son béton de colmatage a refait surface dans les débats sur le désastre !), c'est avec... Bechel ! "Les soupçons portant sur "le ministre des Transports, Fatmir Limaj, père du projet autoroutier, mêlé à un détournement de 2 millions d’euros lors de la construction de routes secondaires" précise Libération. C'est le même scénario qui recommence : "mais Fatmir Limaj n’est pas en prison. Et beaucoup doutent qu’il soit jugé un jour. « Depuis qu’il a été mis en cause, raconte Avni Ziogani, de l’ONG anticorruption Cohu, l’ambassadeur des Etats-Unis au Kosovo l’a embrassé deux fois en public devant les caméras de télévision, lui et pas un autre officiel. »  Mieux encore : les USA, n'hésitent pas à afficher leurs préférences, et le disent ouvertement :"Hostile à la vente des Postes et Télécommunications, Ziogani s’est fait traiter de « nostalgique du communisme » par les conseillers américains. « Une diplomate américaine est venue me rendre visite pour me dire que si je continuais comme cela, on m’isolerait. » On est où, là ? Chez une annexe d'Halliburton ou dans un pays "indépendant" ? Fatmir Limaj , alias « Monsieur 20% », plus connu sous le nom de « Commandant Corruption »...

 

 

Et ceux qui restent sur le carreau sont les mêmes ...qu'en Irak. « Nous sommes le seul pays d’Europe qui n’a ni sécurité sociale ni système de retraites », déplore le Dr Ferid Agani, leader du Parti de la justice. Un bilan qui interpelle dans un pays qui a touché plus de 3 milliards d’euros d’aides entre l’arrivée des troupes de l’Otan après l’intervention de 1999 contre la Serbie et son accession à l’indépendance en 2008."Des milliards de disparus, exactement comme ceux destinés à la reconstruction irakienne un procédé qui se répète : le Kosovo est bien un autre Irak ! Le procédé, car ça en est un, visiblement est donc au point : on déclare la guerre, où on "intervient", on casse tout, et une fois la paix obtenue, on fait signer à l'Etat dont on tient le stylo des contrats mirobolants privilégiant toujours les mêmes firmes. La "Dickcheneysation" de la politique étrangère devient un modèle à reproduire à chaque fois. C'est à constater ce genre de faits qu'on découvre la faiblesse fondamentale d'un Barack Obama, qui ne peut empêcher ses pratiques qui décident des orientations de sa politique extérieure à sa place. Aux dernières nouvelles, le "système Cheney a déteint au Kosovo jusque dans les urnes, semble-t-il : une partie des dernières élections devra être invalidée... mais jusqu'ici on ne savait pas encore précisément que l'on était allé au bout de l'horreur avec ce gouvernement corrompu. Maintenant on le sait, et c'est ce que je vous propose d'étudier demain, si vous le voulez bien. Le député Marty s'est refusé à dire vers quel pays principalement partaient les organes prélevées. Un quotidien israélien, Haaretz, pour ne pas le citer, un mois auparavant, avait pourtant révélé la mèche.


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17 décembre 2010 5 17 /12 /décembre /2010 22:26

E. Todd: « Cessons de nous agenouiller devant l’Allemagne »

Propos recueillis par Philippe Cohen


Prendre la rigueur budgétaire allemande comme modèle, au prétexte de ne pas léguer à nos enfants la dette nationale, reviendrait à leur transmettre une société sans industrie, ce qui est bien pire. C'est l'analyse d'Emmanuel Todd, démographe.



Les performances économiques de l’Allemagne et sa rigueur budgétaire suscitent en ce moment beaucoup d’admiration. Faut-il donc la copier, comme le suggère aussi bien François Fillon que le mensuel Enjeux-les Echos ?
Emmanuel Todd : J’ai bien noté que l’Allemagne redevenait un modèle pour les élites françaises et même dans Marianne, si j’ai bien lu le dernier Bloc-notes de Jean-François Kahn. En fait, les récents gains à l’exportation de l’Allemagne se font au détriment des autres pays européens ; ils ne dureront pas dans les pays émergents. Par ailleurs, nous voyons réémerger une thématique datant du milieu des années 80, lorsque la politique du franc fort était censée contraindre la France à adopter une rigueur « à l’allemande ». Cette politique géniale a abouti à faire de la France un pays massivement désindustrialisé. En somme, on nous propose aujourd’hui de liquider la moitié encore épargnée de notre industrie, afin de faire de la France un pays de tourisme et de ruralité…

Pourquoi cette politique du franc fort n’a-t-elle pas fonctionné ?
E.T. : Les économistes et les politiques ont une vision abstraite et déshumanisée de l’économie, qu’ils ravalent à une série de tableaux. On pourrait ainsi transformer la France en une sorte d’Allemagne en déplaçant les chiffres d’une colonne à une autre. Or, d’un point de vue anthropologique, l’activité économique est celle d’un peuple, d’une nation, d’un groupe humain qui a certaines caractéristiques culturelles, psychologiques, mentales, des façons de vivre, d’aimer, de travailler… Personnellement, je crois que les structures familiales nous fournissent la matrice permettant d’éclairer les comportements des peuples. Concernant la France et l’Allemagne, ces structures familiales ne sont pas simplement différentes, elles s’opposent par leurs valeurs structurantes respectives. La famille française dominante était individualiste et égalitaire, encourageait l’autonomie des enfants et l’égalité entre eux, ce qui a fini par conduire à la devise « Liberté, égalité, fraternité ». A l’opposé de cette matrice, la paysannerie allemande combine l’héritier unique, en général l’aîné des garçons, l’inégalité entre les frères et une claire infériorité des femmes. Voilà pourquoi, au XXe siècle, l’Allemagne n’a pas brillé par son attachement à la liberté et à l’égalité. Elle a même manifesté lors des années 39-45, une préférence marquée pour le totalitarisme.

Mais le monde contemporain ne rogne-t-il pas ces particularismes ?
E.T. : Bien entendu, les systèmes familiaux anciens ont disparu. Mais on ne peut en déduire une convergence mentale et culturelle entre pays. Au contraire, la démographie illustre de façon spectaculaire le maintien de différences entre les deux pays. La fécondité allemande est de 1,3, tandis que celle de la France est de 2. En France, où le statut de la femme est plus élevé, on peut concilier carrière professionnelle et procréation, même si tout n’est pas parfait, loin de là, dans ce domaine. Il n’en va pas de même en Allemagne ou au Japon, où perdure la « culture patrilinéaire » (système familial qui privilégie la transmission par les mâles). La France fait plus d’enfants, probablement moins bien éduqués. Le principe égalitaire y a freiné l’émergence d’une formation professionnelle technique. Ici, nous devons admettre que les différences économiques entre les deux pays sont ancrées, à l’insu des économistes, des politiques et des journalistes, dans un socle anthropologique invisible.
Une bonne gestion économique d’un pays doit prendre en compte le taux de fécondité. Si l’on veut absolument imiter l’Allemagne, il faut supprimer le tiers des enfants nés en France. Ce qui serait dommage parce que cet indicateur de fécondité est justement la preuve que le modèle français est meilleur que le modèle allemand ! Tout simplement parce qu’avant de travailler une population doit exister… Ce n’est pas une plaisanterie : le parcours cauchemardesque des jeunes pour entrer dans la vie professionnelle témoigne d’une tentation réelle d’écraser la jeunesse. Les partisans de l’équilibre budgétaire affirment que nous léguons une dette à nos enfants. En fait, nous leur transmettons une société sans industrie, ce qui est bien pire.

Les différences économiques entre les deux pays sont ancrées dans un socle anthropologique invisible.
Pourquoi l’Allemagne reste-t-elle obsédée par son déficit alors que depuis 2000 sa croissance est plus faible que celle de la France ?
E.T. : Avec le Japon, l’Allemagne est le pays le plus vieux du monde, ce qui pèse sur l’évolution de sa démocratie. Toutes ces histoires d’inscription de l’équilibre budgétaire dans la Constitution sont les symptômes d’une société en voie de fossilisation. On sent qu’une fraction des élites aimerait que la France rejoigne l’Allemagne dans cette course mortifère au désendettement. La politique économique française traditionnelle incluait une certaine dose de laxisme intelligent et pragmatique, qui aboutissait en général à des dévaluations permettant de cumuler un abaissement indolore du coût du travail et une participation plus importante des riches grâce à la baisse de la valeur internationale de leurs avoirs. La dévaluation était efficace et égalitaire. Le franc fort puis l’euro ont privé la France de son mode de régulation naturelle et désarmé l’industrie française face à la concurrence allemande. Au fond, l’orthodoxie budgétariste impose aux nations une norme qui n’est plus de saison pour les individus. Il paraîtrait aujourd’hui incongru d’imposer des relations hétérosexuelles à un homosexuel ! Il règne donc en économie un système d’interdit préfreudien dans lequel la castration et le surmoi s’imposent…


Comment sortir de ce cauchemar européen ?
E.T. : Les caractères des nations sont radicalisés par le libre-échange qui oppose les nations et les cultures les unes aux autres. En réalité, il suffirait de créer un espace économique dans lequel les salaires seraient protégés et où la demande serait en augmentation pour que les différences entre Français et Allemands (mais aussi entre Italiens et Espagnols, Polonais et Portugais, etc.) cessent de conduire à des guerres économiques. En fait, l’exacerbation des différences nationales par le libre-échange conduit à l’explosion de l’euro. Or, nous pouvons sortir de cette crise par le haut, grâce à l’instauration d’un protectionnisme européen qui seul pourrait sauver la monnaie commune et qui pourrait bénéficier à l’industrie allemande.


Votre pronostic ?
E.T. : A 90 % hélas, nous allons à l’explosion de l’euro.
 

Propos recueillis par Philippe Cohen

* Démographe.
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14 décembre 2010 2 14 /12 /décembre /2010 17:27
Comment une commune se donne le droit de définir l’intérêt général face à l’Europe

La transposition en cours de la directive Services pose aux collectivités locales des difficultés que l’UFAL a déjà soulignées, car certains services sociaux ne sont pas exclus de son champ d’application (notamment dans le champ de l’accueil de la petite enfance). Villeneuve d’Ascq a pris une délibération qui vise à permettre que certains services sociaux soient exclus, au cas par cas, de la mise en concurrence, et cela en édictant des règles à la procédure de mandatement d’associations. Cette délibération est intéressante, car elle tente d’installer une parade à la politique européenne relative aux SSIEG.

Nous  reproduisons la présentation d’Alain Carette, adjoint au maire. La délibération adoptée à l’unanimité le 21 octobre 2010 par le conseil municipal de Villeneuve d’Ascq (59).
Par l’UFAL 

“Ratifié par la République française le 8 février 2008, le Traité de Lisbonne – je devrais dire les Traités de Lisbonne, car il s’agit à la fois du Traité sur l’Union européenne, TUE, et du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, TFUE –  sont entrés en vigueur le 1er décembre 2009. Ces traités contribuent à renforcer le principe de protection des missions d’intérêt général imparties à certains services, eux-mêmes qualifiés d’intérêt général, y compris les services sociaux.

 

Les Traités de Lisbonne reprennent l’essentiel des dispositifs du projet dit constitutionnel rejeté par 54,68 % des Français lors de la consultation par voie de référendum du 29 mai 2005. Le principal acteur du projet de Traité constitutionnel, Valéry Giscard d’Estaing, n’a-t-il pas déclaré à ce sujet dans le journal Le Monde du 26 octobre 2007 : « Dans le traité de Lisbonne, rédigé exclusivement à partir du projet de Traité constitutionnel, les outils sont exactement les mêmes. Seul l’ordre a été changé dans la boîte à outils. La boîte, elle-même, a été redécorée, en utilisant un modèle ancien, qui comporte trois casiers dans lesquels il faut fouiller pour trouver ce que l’on cherche ».

 

Ne soyons pas étonnés de la situation actuelle. Les attendus ne sont évidemment pas les mêmes, mais l’absence de concertation aujourd’hui vaut le mépris avec lequel le vote solennel des Français par voie de référendum a été considéré hier.

Revenons à nos préoccupations concernant les services sociaux d’intérêt général. Le livre blanc de la Commission européenne sur les services d’intérêt général en date du 12 mai 2004 affirme « reconnaître pleinement l’intérêt général dans les services sociaux » et établit la notion de « services sociaux d’intérêt général ». Deux communications datant de 2006 et 2007 en ont retenu les spécificités en matière d’organisation, d’encadrement, de financement et de nature des opérateurs et des utilisateurs.

 

L’article 14 du nouveau Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne reconnaît la place qu’occupent les services d’intérêt général parmi les valeurs communes de l’Union, ainsi que le rôle qu’ils jouent dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l’Union.

 

Enfin, l’article 36 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne adoptée le 7 décembre 2000 par l’Union européenne précise que cette dernière reconnaît et respecte l’accès aux services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les législations et les pratiques nationales afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l’Union. Cette reconnaissance dispose désormais d’une valeur juridique analogue aux dispositions des Traités.

Une distinction est faite en droit communautaire entre :

  • les services d’intérêt général qui ne relèvent pas d’une activité de nature économique au sens des Traités et de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et pour lesquels les règles de concurrence et du marché intérieur ne s’appliquent pas. Ces services sont qualifiés de « services non économiques d’intérêt général (SNEIG) ». Font partie de cette catégorie, en France, les services régaliens (police, défense, diplomatie, sécurité, justice et service public pénitentiaire, état civil), entièrement financés par l’impôt et assurés par l’administration publique. Font également partie de cette catégorie les fonctions à caractère exclusivement social tels que les régimes obligatoires de protection sociale ou encore les régimes obligatoires d’éducation.
  • les services d’intérêt général relevant d’une activité de nature économique au sens des traités, alors appelés « services d’intérêt économique général (SIEG) ».

La directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006, dite « directive services », héritière d’un projet de directive généralement mieux connue du nom de l’ancien commissaire européen qui en fut à l’origine, Frits Bolkestein, vise à établir un véritable marché intérieur des services d’intérêt économique général, relevant exclusivement du droit de la concurrence. Les États membres disposaient de trois années à compter de la date de publication pour transposer la directive services dans leurs droits nationaux. Cette directive est clairement d’orientation libérale. Elle vise à supprimer toute entrave à la concurrence libre et non faussée, en particulier en ce qui concerne les subventions ayant pour but, directement ou indirectement, de soutenir des services susceptibles d’être considérés comme marchands, dans des conditions susceptibles d’affecter les échanges entre États.

 

Après le syndrome du plombier polonais ou, plus récemment, celui du pilote de ligne irlandais, nous avons entendu parler de celui de la crèche lettone.

 

Souvenons-nous du discours prémonitoire de Pierre Mendès-France, le 18 janvier 1957, soit un peu plus de deux mois avant la signature des Traités de Rome : « Le projet du marché commun, tel qu’il nous est présenté, est basé sur le libéralisme classique du XXe siècle, selon lequel la concurrence pure et simple règle tous les problèmes. L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes : soit elle recourt à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme dit “providentiel”, soit elle recourt à la délégation de ses pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle au nom de la technique exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie, on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement une politique, au sens le plus large du mot, nationale et internationale. »

 

Au-delà de cette analyse, que je partage, mon intention n’est pas ici de refaire l’histoire et d’imaginer que l’Union européenne aurait pu davantage prendre en compte la réalité des services publics tels que nous les entendons dans notre pays, pas davantage que de stigmatiser le gouvernement qui, à une loi-cadre de transposition générale de la directive services, assortie d’une définition large des services sociaux échappant à la directive, a préféré un rapport relevant les transpositions partielles, secteur par secteur, déjà opérées par la loi. Ce qui m’amène à m’adresser à vous aujourd’hui est la question suivante : comment maintenir notre ligne par rapport aux associations rendant des services qui pourraient être qualifiés de services d’intérêt économique général sans tomber sous les fourches caudines de la directive services ?

 

La dérogation aux règles de la concurrence est prévue par l’arsenal juridique du droit communautaire : il s’agit de la procédure dite de mandatement. Le mandatement est l’acte par lequel une collectivité publique charge un opérateur, en l’occurrence une association, d’un service d’intérêt général et lui impose les obligations de service public qui en découlent. Le mandatement est nécessaire à la reconnaissance d’un SIEG. Ce mandatement entraîne ainsi une dérogation aux règles communautaires des aides d’État, y compris celles des collectivités locales, et permet l’octroi de compensations financières.

 

L’objet de la délibération que j’ai l’honneur de vous présenter est de définir le cadre général dans lequel devront s’effectuer les délibérations particulières de mandatement au sens que lui donne l’Union européenne ainsi que toutes les obligations qui en découlent.

 

Cette première étape ne représente en quelque sorte que la partie émergée de l’iceberg. Une fois cette délibération adoptée par notre conseil, il faudra que les élus concernés, aidés en cela par les services, s’interrogent sur les activités qui relèvent ou non de l’intérêt général et préparent des délibérations spécifiques pour chacune de ces activités.”

 

Extrait de la délibération : Dès lors qu’ils relèveront des missions qualifiées de services d’intérêt économique général par le conseil municipal, les projets initiés par une association pourront bénéficier d’une subvention en guise de compensation dans le respect de la réglementation européenne, sous réserve de leur exécution par mandat comme explicité ci-après :

  • fonder l’existence d’une mission d’intérêt général,
  • qualifier explicitement les services de SSIEG,
  • définir précisément le périmètre du SSIEG ainsi créé,
  • définir les obligations de service public (accès universel, continuité, qualité, accessibilité tarifaire – gratuité – …) et les critères et forme de compensation de service public,
  • décider de l’acte de mandatement (procédure et forme) et mandater le SSIEG.

Les délibérations propres à chaque SSIEG seront prises ultérieurement.
 

par l'UFAL
Union des FAmilles laïques
http://www.ufal.org

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8 décembre 2010 3 08 /12 /décembre /2010 09:26

Sur la hausse des tarifs à la seuneuceufeu

Publié : le 7 décembre 2010 par gauchedecombat dans actualités, économie, politique française, société
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Dimanche 5 décembre 2010, la direction de la SNCF a annoncé une hausse des tarifs des trains de voyageurs supérieur à l’inflation pour le début de l’année 2011. Cette annonce, qui a reçu l’approbation du Secrétaire d’État aux Transports, M. Mariani, est présentée comme une nécessité pour entretenir et rénover le réseau ferré français.

Depuis la séparation du système ferroviaire en deux entreprises publiques : SNCF et RFF, le système ferroviaire est englué dans la spirale du déclin. Réseau Ferré de France (RFF) plie sous le poids d’une dette énorme et ne cesse d’augmenter les péages que doit payer la SNCF pour faire circuler ses trains, alors que l’état du réseau reste très dégradé. Cette stratégie se traduit chaque année par une inflation des tarifs supportée par les voyageurs.

La Fédération CGT des Cheminots dénonce cette augmentation des tarifs qui pèse sur le pouvoir d’achat des usagers sans régler le financement de l’entretien et du développement des infrastructures ferroviaires.

La création de RFF, le désengagement de l’État de ses responsabilités en matière d’aménagement du territoire, la politique fiscale menée par le Gouvernement sont autant de choix qui conduisent à de telles dérives.

Dans une période où la crise économique et financière frappe si durement les citoyens français, ce sont d’autres décisions  qui doivent être prises.

La SNCF doit revenir à une politique tarifaire juste et équitable sur tout le territoire qui favorise les déplacements dans le respect des valeurs de service public.

L’État doit reprendre la dette du système ferroviaire et jouer un rôle d’aménageur du territoire en garantissant pour tous un réseau ferré fiable et moderne.

La Fédération CGT des Cheminots rappelle la nécessité de revenir à un système ferroviaire unique et intégré au sein d’une seule entreprise publique SNCF, afin de répondre aux besoins des populations dans le cadre d’un service public ferroviaire efficace.

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3 décembre 2010 5 03 /12 /décembre /2010 10:58
L’Europe contre les peuples
Ces derniers mois, l’Europe semble avoir encore plus perdu contact avec la réalité. On ne compte plus les exemples de décisions ubuesques et injustes, totalement contraires aux intérêts des peuples qui la composent, souvent prises par un dogmatisme néolibéral incompréhensible aujourd’hui.
Coup de tabac et de courant
 
Jusqu’à présent, il y avait des limitations pour les achats de tabac à l’étranger (deux cartouches par personne). La Commission Européenne souhaite lever toutes les restrictions à l’achat de tabac. Entre la déréglementation économique et la santé des européens, la Commission a choisi. Voilà une décision qui montre bien les ravages du dogmatisme néolibéral. Et comme d’habitude, l’abaissement des frontières va favoriser le moins-disant fiscal. Heureusement, pour une fois, Paris résiste.
 
Il fut un temps où l’on nous vantait la déréglementation des services publics en nous expliquant que cela allait permettre une plus grande efficacité, que la concurrence allait amener une baisse des tarifs pour les consommateurs. Mais là encore, les promesses ne sont pas tenues. Les tarifs d’EDF ne cessent d’augmenter (près de 7% cette année) et devraient continuer à le faire dans les prochaines années avec le nouveau projet de loi passé par le gouvernement en novembre.
 
Dur avec les petits, doux avec les forts
 
Mais ce qui est encore plus insupportable avec cette Europe, c’est qu’elle fait systématiquement peser les efforts sur les peuples, les classes populaires et moyennes en épargnant les puissants. C’est ce qui se passe en Grèce, en Irlande ou au Portugal où la population se débat avec des baisses de salaires qui ne permettent plus à certains de payer leur loyer ou leurs mensualités d’emprunts immobiliers. Bref, l’Europe saigne la population pour honorer les créanciers, et donc les banques.
 
Car les pseudos plans de sauvetage des pays ne servent qu’à cela : honorer les créances souveraines rubis sur l’ongle, quitte à faire suer eau et sang aux peuples. Pourtant, l’Allemagne proposait une solution plus juste, à savoir faire contribuer les investisseurs. Sachant que les Etats ont sauvé les banques, une telle participation aurait été normale. Enfin, on reste songeur de voir l’impôt sur les bénéfices Irlandais maintenu à 12.5%. Là encore, les multinationales ne contribueront pas à l’effort.
 
Pire, la Cour de Justice européenne a rétabli la hausse de salaires des fonctionnaires européens à 3.7% contrairement à l’avis des chefs d’Etat. Il y a un conflit d’intérêts majeur si cette décision affecte le salaire des membres de cette même Cour de Justice. Enfin, même si la méthode de la Commission est bien faite, il est scandaleux de passer outre le choix des chefs d’Etat, surtout alors que l’Europe impose des plans d’austérité sauvages aux autres fonctionnaires.
 
Le seul point positif de la situation est que les masques sont tombés. On voit bien aujourd’hui que les bénéfices promis par cette Europe ne sont pas là, au contraire. Pire, se dessine un projet européen profondément injuste, asservissant les peuples au service des multinationales.
Laurent Pinsole sur son blog
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