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17 juillet 2012 2 17 /07 /juillet /2012 11:38
A Barquisimeto, tous souriaient

No Volverán

par Jean Luc Melenchon

Considérez que cette note a traversé l’Atlantique. Elle est donc décalée de toutes les façons possibles dans cette sorte d’exercice. Je vis à un rythme magiquement ralenti par rapport à tout ce que j’ai vécu ces derniers mois. Pour autant je ne peux pas dire que je suis tout à fait sorti du champ de bataille. Ici, au Venezuela, je participe un peu à la campagne électorale qui a commencé en vue des élections présidentielles d’octobre prochain. Je raconte quelque chose d’une de ces journées extraordinaires dans lesquelles j’ai reconnu tant de traits communs avec les nôtres.

Je dis un mot à propos de la place de l’affaire PSA qui va être la signature du moment politique qui commence en France. Mais je parle aussi de la lutte victorieuse des femmes de Sodimedical. Je donne une place spéciale au dépôt de mes comptes de campagne. Il me permet de souligner l’injustice totale du calcul de l’attribution du financement public qui ne tient aucun compte du résultat de l’élection présidentielle ! Pourquoi ? Je jette un œil aussi sur le coup d’Etat au Paraguay. Je suis le désespoir de ceux qui n’aiment pas qu’on regarde ailleurs qu’au bout du nez des « vrais problèmes » de leur clocher.

 J’ai fait le voyage vers Barquisimeto en avion. C’est là qu’était convoqué le « rassemblement Bolivarien » du jour. La ville se trouve dans l’état de Lara. J’avais l’honneur d’être assis sur le siège en face de celui au nom de Chavez. Mais il resta vide car « le commandant », comme il disent, travaillait ses fiches dans son carré privé. J’ai trop pratiqué l’exercice pour ne pas en comprendre l’importance. Ce temps où l’on entre dans ce que l’on va dire et où il faut en quelque sorte commencer à l’incarner doit être fait avec sérieux et méthode. Car les émotions qui vont suivre submergent tout, ensuite. Elles risquent alors d’effacer la fragile trame que l’on a posée sur la surface de l’esprit. Le mouvement des mots qui vont devoir venir quand ce sera leur tour en dépend pourtant. Il faut donc bien gérer cela. Impossible de passer à côté de l’émotion que dégage un rassemblement. D’ailleurs, il ne faut pas y résister si l’on veut s’imprégner de l’ambiance et du message qu’il porte. Pour ma part j’ai été saisi d’émotions et emporté par elles chaque fois qu’il fallait traverser un bout de la salle de nos meetings. On cessa de le faire quand il devint évident que ce déplacement mettait en danger les gens qui participaient à l’accueil si chaleureux qu’ils me

faisaient ! Mais j‘en fus très

frustré. Ce que j’ai vécu sur place, à Barquisimeto, m’a confirmé cette intuition de la dialectique du rationnel et du sensible dans la production du message politique. Ce qui nous attendait à l’arrivée, la télé le nommait « l’ouragan Bolivarien ! » pour intituler les images qu’elle donnait à voir.

Un ouragan en effet ! Sur les trois kilomètres du trajet une foule compacte hurla sans discontinuer à mesure que les camions sur lesquels nous étions installés avançaient. Le rassemblement commença aux portes mêmes de l’aéroport, ce qui n’était pas prévu. Les véhicules du cortège ont donc fendu la foule au pas, entourés d’un impressionnant double cordon de militants qui protégeait autant le passage que les gens qui se précipitaient sur les voitures. Suffoqués par l’effort, ruisselants sous le soleil des Caraïbes, ils tinrent bon leur part de tâche ! Je voyais sur leurs jeunes visages la lumière que j’ai vue sur celui de mes camarades, filles et garçons qui ont fait cet exercice à Strasbourg, à Paris, et à combien d’autres endroits encore ! Puis on descendit des voitures et on monta sur le toit des bus qui avaient été postés face à un podium d’accueil, à cet instant totalement submergé. Commença alors le parcours. Ce fut comme un ailleurs de tout ce que j’ai connu. Jamais je n’ai vu telle ferveur politique se concentrer de telle façon dans les corps et les visages. A mi-chemin je m’aperçus que j’avais le visage en larmes. A côté de moi, Max Arvelaiz et Ignacio Ramonet montraient un visage inconnu. Le saisissement, l’effroi sacré qui nous habitait est un moment qui n’a pas ses mots pour le décrire raisonnablement. La force de la passion politique qui s’exprimait à cet instant sculptait et remodelait tout ce qui passait entre

ses mailles fines. Je comprends à présent que notre position était singulière : perchés sur ce camion nous avons été touchés en continu par quelque chose qui n’a duré que quelques minutes pour chacun de ceux qui s’y sont impliqués, à terre, autour de nos camions et à mesure qu’ils passaient. Ce qui était un paroxysme momentané pour eux fut un jet continu pour nous. Et il dura presque une heure me semble-t-il. Et voici ce qu’il faut retenir : c’était les nôtres, sans aucun doute possible.

Les nôtres ! Vous vous souvenez peut-être quand j’interpellais notre rassemblement à la Bastille. Je disais : « Où était-on passés ? On s’était perdus ! On se manquait, on s’est retrouvés ! » Vous saviez tous de qui et de quoi je parlais, sans qu’il y ait besoin d’en dire davantage. Ici c’est de cela encore dont je parle. Vous savez instantanément de qui il s’agit : les nôtres. Cela se voyait. D’abord par la couleur de peau : partout dominait en profondeur ce superbe marron que montrent les plus beaux êtres humains. Ici la couleur de peau est un signal social. Ceci était une marée de pauvres venus des quartiers populaires. Je ne dis pas qu’il n’y avait pas de mélange de toutes sortes ! Rien n’est plus bigarré qu’une foule des Caraïbes : mille nuances de couleurs et d’habits saturent tout, tout le temps. Pas de haillons ici. Mais les pauvres et les humbles comme on dit pour désigner les invisibles aux yeux des importants. Les humbles et les pauvres en habits de classe, en visages de classe, leurs slogans politiques, les pauvres, les humbles faisaient le gros du fleuve humain qui s’était formé là. Voilà ce qui me saisit au plus profond de moi et me mettait ces larmes aux yeux. Les damnés de la terre en mouvement. Le sourire aux lèvres. Comme chez nous quand on s’est retrouvés. Les gens souriaient. Ces mille sourires n’en faisaient plus qu’un dans le creuset du cri sans fin qui entourait ce camion ! Je pensais à ces images filmées en noir et blanc à l’entrée de Pancho Villa et Emiliano Zapata vainqueurs à Mexico. Une marée de tenues de paysans

pauvres et de haillons entourait leurs chevaux. Le film est muet bien sûr. Et il n’y a pas de pancartes ni de banderoles. Mais je demandais quel pouvait bien être le bruit de cette foule déjà, le jour où j’ai vu ces images, l’an passé, dans l’exposition des photos de la révolution mexicaine à Arles. Cela n’a rien à voir avec ce que l’on peut observer au retour d’une équipe de foot victorieuse ou autour d’une pop star. C’est un son humain particulier. Je dis « le son », comme je le dirais pour désigner le ton qu’avait la voix de notre mère quand elle nous berçait, le ronronnement de notre chat, le grondement de la bête qui a faim, la gorge qui bée à la vue d’une merveille. Ou n’importe lequel de ces messages essentiels qui court-circuitent les mots. C’est le bruit particulier d’un événement humain singulier. Vous savez ! L’un de ces bruits qu’on connaît sans qu’il ait de nom : le craquement de la neige sous le pas, la pluie qui plouic plouic sur le bord de la fenêtre et celle qui frrttrr frrtrr sur le carreau quand l’averse tombe en biais. Ici, c’est le son que fait la révolution. Un rugissement a dit Chavez, une clameur selon mon esthétique.

Mais si violente que fut la ferveur autour du passage de Chavez, jamais le sens politique de ce qui se passait ne s’effaça. Pancartes, bannières, slogans, cris et salutations, poings fermés levés en cadence, saluts militaires, drapeaux rouges, tout le temps, tout le long, du cœur de la masse agglutinée contre le camion, sur les branches des arbres, comme du bord opposé de l’avenue, rien n’effaça un instant la marque de l’engagement politique ! Incroyable discipline

que celle de ces gens occupés des heures à attendre, puis après le passage des camions à attendre le discours, puis à l’écouter en scandant slogans et consignes qui en accompagnaient le sens et les incluaient dans son déroulement. Et parmi ceux-ci ce cri guttural et jaillissant comme un éclat de rire : « no volverán ! ». Ils ne reviendront pas !

Comme c’était le quatorze juillet, et peut-être parce que je le lui ai mentionné, Hugo Chavez a rendu hommage à la Révolution française. Il a expliqué la contribution décisive de cet événement au mouvement pour l’indépendance du Venezuela, à travers le personnage du maréchal Francisco de Miranda, militaire vénézuélien qui combattit avec nous à Valmy et commanda victorieusement les armées françaises en Belgique contre l’agression de l’union de l’Europe féodale et des émigrés. Ces mots de Chavez, l’évocation de ma belle patrie républicaine, le « viva » qui conclut ce passage de son discours, aussi bien à l’académie militaire le matin que le soir à Barquisimeto, nous touchèrent beaucoup, on le devine, à la tribune où nous étions. Dans ma forme de patriotisme, l’évocation de la France révolutionnaire est centrale. S’y trouve résumé le contenu de l’identité française. Chavez en a bien compris toute la profondeur : il a expliqué comment la Révolution française est la révolution du monde entier dans la mesure où elle agissait au nom des droits universels de la personne humaine et non d’une nationalité en particulier ! Cela me rend ce moment plus mémorable et plus intéressant pour mon pays que la rencontre du nouveau président français avec les journalistes désemparés qui voulurent l’intéresser à leur conversation. Mais le nouveau président français a aussi connu une mobilisation populaire si j’en crois « Ouest France ». La Pravda la plus sectaire de France, qui s’honore de ne jamais me donner la parole, mentionne : « À Brest, le chef de l’Etat a fait un véritable tabac, dans une sorte d’hystérie collective. » Comme « Ouest-France » est bien à droite, j’en déduis qu’à leurs manières les gens qui se trouvaient à Brest autour de Hollande étaient de gauche, puisqu’ils sont décrits comme « hystériques ». Mais peut-être à Brest a-t-on entre-aperçu une petite braise du grand feu que j’ai vu incendier Barquisimeto ? Hollande ferait bien de se méfier de tous ces gens capables de s’enthousiasmer. Car ils finiront par demander des raisons de le faire.

De ce que j’ai vu des nouvelles d’Europe j’ai compris que nous sommes entrés dans une nouvelle phase de l’histoire sur le vieux continent. Le niveau de confrontation sociale grimpe d’un cran décisif. Les actualités d’Espagne ont été beaucoup commentées ici, au Venezuela, parmi nos amis. Le défilé des mineurs, la répression qui a suivi, ont marqué les esprits. Je crois que c’est ce qui leur donne le plus matière à penser du fait de la communauté de langue qui leur permet de vivre de plus près ce qui se passe. Car d’une façon générale j’observe que peu de gens sont informés du degré de verrouillage « austéritaire » en Europe. Je pense qu’il en est ainsi parce qu’ils croient que les horreurs qui leur sont arrivées dans la phase précédentes de leur histoire, celle où le FMI et la Banque mondiale leur serraient la gorge, sont

connues en Europe. Ici ils pensent que tout le monde a tiré la leçon de cette politique. Il leur est difficile d’admettre que ce n’est pas le cas. Quand j’explique que la Banque centrale européenne ne prête pas directement aux Etats tout le monde est stupéfait, se fait répéter l’information pour être certain d’avoir bien compris. Et ainsi de suite. Pour moi aussi, en dépit de tout ce que je sais, je suis estomaqué comme tout un chacun à l’heure où nos prévisions deviennent des réalités matérielles et humaines. Le nouveau plan d’austérité en Espagne est une façon de mettre le doigt dans l’engrenage qui a déjà détruit la Grèce. Comment se fait-il que les décideurs ne le sachent pas ? Comment peuvent-ils agir de cette façon en sachant que cela ne mène nulle part ? Les coups assénés au monde du travail sont d’une incroyable violence. Le surgissement des gueules noires dans les rues de Madrid donne à la situation une tonalité qui va maintenant donner un autre visage aux luttes en Espagne. Au temps des « indignés » succède celui des révoltés. Je crois que c’est la tonalité de toute la période qui arrive pour nous aussi en France. Cette phase est celle qui a précédé en Amérique du sud le collapsus final, celui où surgissent des masses immenses de population qui crient « qu’ils s’en aillent tous ! ».

Si je peux m’avancer de cette façon dans les pronostics c’est évidemment en tenant compte de la répétition des expériences réelles. Chacune a confirmé que la ligne politique austéritaire n’ouvre aucune issue aux peuples qui acceptent de s’y soumettre. Récession et misère sans issue sont la constante, jusqu’à l’explosion. Mais ce qui hier ne s’était vérifié, pays par pays, qu’en Amérique du sud est dorénavant bien installé sur notre continent. Le naufrage de la Grèce en a témoigné. L’Espagne entre à son tour dans la spirale mortelle. Elle ne s’en sortira pas davantage. La logique voudrait que commence bientôt les

grandes manœuvres politiques en vue d’une grande coalition pour sauver le plan d’austérité. Ces gens-là sont comme ça. Quand Hollande a été à la télévision grecque pour appeler à voter à droite plutôt que pour l’autre gauche, il a en quelque sorte signifié cette implacable alliance des eurocrates pour maintenir leurs plans envers et contre tout. Dignité incluse !

Une telle série d’événements soulève bien la question que je viens de poser. Pourquoi les gens qui dirigent prennent-ils des décisions si évidemment contre-productives ? Pourquoi le dirigeant espagnol Mariano Rajoy met-il en place un plan qui conduit tout droit à la récession alors que la récession va augmenter les difficultés budgétaires qu’il prétend régler ? Du fait même du caractère si hautement prévisible des conséquences de telles décisions, on devine que la situation peut se lire de façon bien différente. Laissons de côté pour l’instant l’idée que ces dirigeants soient idéologiquement ou personnellement corrompus. Essayons d’imaginer qu’ils croient à leur propre propagande. On peut imaginer alors qu’ils pensent sérieusement être mis en demeure de réparer les « erreurs de gestion » de leurs prédécesseurs. Que « de toute façon il faut payer ses dettes » et ainsi de suite. C’est la musique dominante. On entend dire en Espagne comme en Grèce et comme en France que « le pays a vécu au-dessus de ses moyens ». La dette ce serait de la dépense irresponsable. Le piège qu’est ce discours

fonctionne bien. On peut y croire sans difficulté parce que son énoncé paraît évident. Mais ce n’est qu’un discours. Il ne résiste pas à un examen attentif des faits.

Commençons par le commencement. Quand a-t-on dépensé trop ? Pourquoi était ce vivre au-dessus de ses moyens que de vivre comme nous vivions ? L’histoire fiscale et économique permet vite de situer le début de l’explosion, d’ailleurs relative, de la dette publique. Je ne vais pas seulement évoquer le moment où il est devenu impossible à l’Etat de se financer auprès de la Banque centrale et où il a dû se tourner, par obligation institutionnelle, vers le marché des banques privées. Je veux revenir sur le moment où la droite et les sociaux-libéraux ont commencé à baisser le niveau des impôts sur les bénéfices des sociétés et sur les particuliers. Si nous avons vécu au-dessus de nos moyens c’est parce que nous avons réduit nos moyens. Là encore mettons de côté la collusion de classe comme facteur d’explication. Acceptons de croire que cela a été fait, comme cela a été annoncé, « pour relancer l’économie, améliorer la compétitivité des entreprises » et les autres bla bla bla. Pourtant le résultat est sous nos yeux : rien ne s’est passé comme prévu. Ce démenti des faits est le plus cruel démenti opposable à cette politique ! Elle ne marche pas ! Dès lors la cohérence du système se lit d’une autre manière. Il s’agit d’une organisation en vue de rendre possible et de protéger la perception d’un immense impôt privé, celui que le système financier prélève sur la société. La rente financière et sa protection est la seule logique du système et non l’apparente volonté de faire ceci ou cela, habituellement énoncée par ceux qui prennent les décisions

visibles. En ce sens ce qui est usuellement nommé et présenté comme une « crise », un dérèglement provisoire dû à une mauvaise gestion passée où actuelle n’en est pas une. C’est un système permanent. Ce que l’on nomme la « crise » est la norme de fonctionnement désirable et profitable du système.

Vu d’un point de vue des relations sociales que cet état implique pour fonctionner, le système peut se lire comme une méthode de confrontation de ceux qui profitent contre ceux qui sont ponctionnés. Au-delà de tout ce qu’il peut dire sur le sujet et même peut-être de ce qu’il croit lui-même, Mariano Rajoy réorganise l’Espagne pour que puisse continuer la prédation du système financier sur l’Espagne aux conditions que ce dernier a déterminé. Il n’y a pas de « crise » en ce sens que « la crise » est seulement le nom d’une méthode de confrontation sociale. Elle part de la sphère financière et elle s’exprime dans tous les compartiments qui s’y rattachent ou qui lui sont liés. A chaque étape de la confrontation, les agents du système, qu’ils en soient dupes où qu’ils croient réellement à sa nécessité, présentent la soumission comme une règle de bon sens ! Mieux, c’est une nécessité de la modernité, un choix pour le futur. Tout ce qui n’en convient pas est de « l’idéologie ». Vous connaissez cette musique, n’est-ce pas, mes amis. Au début le grand nombre y croit. Il se soumet en majorité, même en râlant. La propagande fonctionne alors à plein régime. Elle ne s’arrête jamais d’ailleurs. Puis vient le moment où les pires dupes, c’est à dire les catégories sociales moyennes qui ont cru y trouver leur compte, sont tellement piétinées qu’elles se réveillent. « Nous avons des familles » crient les manifestants madrilènes. Comme si c’était une façon d’appeler les gouvernants au retour au réel qu’eux viennent de faire. La corde se tend. Tant qu’elle

tient, la logique du système augmentera la tension ! Elle se tend au sommet de la hiérarchie sociale des salariés. Jusqu’à la dernière minute la propagande tourne à plein régime.

Lisez l’éditorial ahurissant de Joffrin à propos de PSA pour comprendre à quel point ce système peut durcir ses méthodes d’intoxication mentale. Deux grammes de protestation avant trois couplets d’appel à la soumission aux normes dominantes et de dénonciation de l’idéologie anti-mondialisation. Le médiacrate social libéral enragé voit dans l’affaire PSA, « le cimetière des illusions idéologiques françaises »! Intellectuellement c’est révulsif. Surtout venant de gens qui se disent de gauche. Mais, politiquement, nous n’avons pas meilleur allié. Ces gens maintiennent tout le monde dans un état de stupeur qui ne se résout pour finir que par des explosions du type de celles qui ont eu lieu en Amérique latine. Car à la fin des fins, les lecteurs du « Nouvel Observateur » aussi, même intoxiqués à mort par ce qu’ils lisent, eux aussi savent qu’ils « ont des familles » ! Et ce n’est pas l’opium de Joffrin qui leur permettra de les nourrir ou de leur assurer un vécu décent ! Le mur de béton que construisent de tels médias hallucinogènes explique pourquoi tant de gens des classes moyennes et moyennes supérieures se tournent vers nous comme vers une alternative intellectuelle.

Chez nous, en France, le système de confrontation que constitue la « crise » prend aujourd’hui le chemin des usines. PSA aujourd’hui. Ce n’est pas le pire cas pour nous. En effet, il s’agit d’un milieu ouvrier fortement structuré par le syndicalisme. La bataille va donc prendre une forme contrôlée et dirigée qui affaiblit la portée des

manœuvres et coups tordus gouvernementaux ou patronaux. Ce matin jeudi, à Caracas, j’y ai tout de suite pensé quand je me suis levé avec l’annonce des plans de licenciements massifs chez PSA. Les camarades m’alertaient depuis le site d’Aulnay et la ville où milite une section du Parti de Gauche. Mais aussi depuis notre équipe nationale où cette affaire déclenche une grosse émotion militante. Moi aussi je bouillais. Je suis si loin ! Mais sur place évidemment tout notre dispositif est en place. Les copains se disposent donc pour aller à la rescousse si on les y invite à le faire. Comme d’habitude, nous sommes à la disposition des syndicats des travailleurs. Nous appliquerons les consignes qui seront données par ceux qui luttent. C’est notre doctrine. Pour autant nous ne sommes pas inertes politiquement. Le Parti de Gauche vient de rappeler sa prise de position pour une loi en faveur de l’interdiction des licenciements boursiers et pour un moratoire sur les licenciements de cet été. Je voudrais rappeler que la loi contre les licenciements boursiers a été présentée au Sénat l’an passé par Dominique Watrin, sénateur du Front de Gauche, et qu’elle a été votée alors par les socialistes. Ils pourraient donc la mettre en débat à l’Assemblée et elle pourrait être effective avant la fin de la session parlementaire. Le cycle qui commence est un temps de confrontations sociales ouvertes. Je pense que le nouveau gouvernement ne l’analyse pas de cette façon. Il ne sera pas le seul. Comme par le passé, beaucoup vont examiner le problème comme un « vrai problème économique », lié à la « compétitivité des entreprises ». Et ainsi de suite. Vous connaissez tous la chanson. Mais combien vont souligner que PSA fait tout de même plus de cinq cent millions d’euros de bénéfices ? Et combien vont rappeler cette évidence : le marché n’est malade que de son ouverture incontrôlée. Exemple : trois Renault sur cinq qui se vendent en France viennent d’usines délocalisées. C’est là le modèle économique que veut appliquer dorénavant à son tour PSA. Il ne le fait qu’en raison de l’impunité dont ont bénéficié les autres constructeurs en agissant de cette façon. C’est parce qu’on a laissé

faire que tout empire ! De même la question de la nécessaire transition écologique de l’industrie automobile qui doit venir à l’ordre du jour. Là encore le problème ne peut plus être traité en fonction de nos propres desiderata. En effet toute la recherche et développement de cette grande entreprise a été déjà délocalisée à l’occasion du précédent plan l’an passé ! De nouveau, on a laissé faire et tout empire. On notera aussi la discrétion des « analystes » sur le bilan de la politique de « réduction des coûts salariaux », menée pourtant sans désemparer par le précédent gouvernement. Je pense en particulier à la suppression de la taxe professionnelle ! Un somptueux cadeau de douze milliards d’euros aux « entreprises », offert sans aucune contrepartie ! C’est cependant dans cette voie de la réduction des coûts salariaux que veut persister le nouveau gouvernement. Donc il n’y a pas de solutions au problème posé sans prendre à bras le corps la question de l’organisation du modèle économique national et européen. Cela dépasse donc ce que peuvent faire seuls les travailleurs localement. Leur lutte doit rencontrer une volonté d’appui déterminée, gouvernementale et législative. C’est ce que ferait une majorité parlementaire dirigée par le Front de Gauche. Nous allons voir à présent les bavards du « vote utile » au pied du mur des réalités de la lutte sociale. Hélas.

Mais mercredi, ma journée en décalage horaire de six heures et demie avec vous en France avait très bien commencé. C’était un message de Laurence Sauvage. Laurence j’en ai déjà parlé ici. C’est la secrétaire nationale du Parti de Gauche

 

en charge des luttes sociales. Elle a succédé en catastrophe à un camarade qui était fort habile à faire des textes et des recommandations pontifiantes mais absolument inapte à quelque activité concrète que ce soit. Beaucoup ne donnaient pas cher de cette jeune femme sans passé politique catapultée à la place d’un cacique aigri dans un univers dominé par les hommes. Le bilan fut tout simplement à couper le souffle. La recette ? Militer ! Agir ! Laurence n’arrête pas. Elle est présente. Non pas derrière un bureau ou à travers un pouvoir de nuisance fielleusement entretenu. Elle se rend sur place, elle téléphone, elle soutient, elle va, elle revient, elle m’oblige aussi, autant que possible, à aller et venir en courant derrière elle. Ma première visite d’après campagne présidentielle, sur l’insistance de Laurence, fut pour ces femmes au combat ! C’est Laurence qui a centralisé au Parti de Gauche la lutte des femmes de Sodimedical en entretenant la flamme de l’intérêt pour elles. C’est à elle que je dois d’avoir cité si souvent ce combat dans mes discours et interventions tout simplement parce que j’étais continuellement informé par elle de ce qui se passait. Ce matin son sms et son mail d’appui m’a mis les larmes aux yeux. Après tant de mois d’angoisse, sans salaires, de décisions de justice non respectées, de renvoi en report de jugement, ces femmes ont gagné ! J’imagine la joie sur place. J’en ai les larmes aux yeux. Je vois le visage tranquillement déterminé d’Angélique, la première de cordée de cette lutte ! Voici le message de Laurence : « Bonjour à tous, s'il fallait qu'aujourd'hui le soleil brille de tous ses rayons, il fallait que cela soit dans l'Aube. Et bien bingo ! Les salariés de Sodimedical ont gagné contre le groupe Lhomann & Rauscher. Le groupe est condamné à payer les salaires avec astreinte de 1000€ par jour de retard. Mieux : le jugement fait obligation de reprendre l'activité à Plancy. Quand nous avons parfois le doute que tout est perdu, même en allant régulièrement les soutenir et en leur apportant une aide morale par téléphone, cette victoire nous prouve que rien n'est jamais perdu ! Bravo à elles et à leurs avocats. Je fais un communiqué de presse ce soir mais je t’avoue que c'est en tremblant car l'un des premiers appels d'Angélique Debruyne, leur "leader", était pour le PG afin de savourer leur victoire en direct. Bises. Laurence »

A présent mon compte de campagne présidentielle vient d’être déposé en bonne et due forme. Un travail de titan pour les deux camarades chargés de cet exercice, Marie-Pierre Oprandi, ma mandataire financière et Jean-Pierre Masson son co-équipier dévoué. Juste pour mémoire, il faut savoir qu’au cas particulier cette présidentielle ce fut 15 000 documents scannés, 4 800 lignes d’écritures comptables, 2 400 chèques pour la seule Association de Financement du Compte de Campagne « JLM 2012 », 2 000 heures de travail assumées par le tandem que je viens de citer. Et bien sûr, j’en oublie forcément… A présent commence une période de concertation avec la Commission chargée de vérifier la régularité de tout cela. Je me sens obligé de vous rappeler que je suis tenu pour personnellement responsable sur le plan juridique de cet exercice. C’est moi qui paye si le compte de campagne est rejeté. C’est moi qui serais puni si quelqu’un a triché dans mon dos ici où là avec les règles vétilleuses de cette comptabilité. On voit quel rôle est aussi celui du candidat. Et les risques. Car bien sûr il y a toujours des irresponsables dans le circuit. Aux élections européennes, un responsable départemental partit en vacances sans rendre ses documents. Il fallut, en plein mois de juillet, tout reconstituer, aller de villages en villes pour récupérer les bons documents comptables. Ici ce fut autre chose : 2 000 pièces comptables soudainement arrivées quatorze jours avant la clôture du compte à saisir, analyser, et intégrer pour un montant de plus d’un million d’euro ! La désinvolture confine parfois de si près avec le sabotage que j’en ai des sueurs froides rétrospectives.

Mais si de tels risques sont mis sur le dos du candidat, comment ne pas pointer du doigt une énorme injustice du système de financement public. Comme vous le savez les subventions publiques aux partis politiques sont attribuées sous certaines conditions. Il faut avoir fait un minimum de voix dans un minimum de département pour accéder à ce financement. L’injustice ? La voici. L’élection présidentielle ne compte tout simplement pas dans ce calcul. Ne sont pris en compte que les voix acquises aux élections législatives ! On comprend le coup tordu destiné à favoriser les partis qui dominent cette sorte d’élection à deux tours ! Ainsi nous sommes responsables de tout, en tant que candidat, mais bénéficiaires de rien. La prise en compte du résultat à l’élection présidentielle me semble être une mesure de simple justice dans le cadre d’un système que je continue à qualifier d’intrinsèquement injuste.

Je veux aussi pointer, par humour cette fois-ci, une autre extravagance. Des candidats qui recueillent des millions de voix à l’élection présidentielle où vote tout le pays, sont ensuite astreints à aller en circonscription, au suffrage à deux tours, ce piège à loup, pour recevoir l’onction nécessaire pour représenter le peuple français à l’Assemblée nationale ! Sachant qu’un député est élu en moyenne avec trente mille voix, faites la division des quatre millions de voix qui se sont portées sur mon nom et vous constaterez que ma représentativité est équivalente à l’addition d’une très grosse quantité de ceux qui siègent à présent. Je m’amuse aussi en pensant à une autre singularité. Un ancien Président de la République est censé acquérir la science infuse du droit constitutionnel à la fin de son mandat, ce qui le rend automatiquement membre du Conseil qui surveille la constitutionnalité des lois. Mais un candidat à la représentation du pays n’est pas censé l’avoir acquise après avoir recueilli des millions de voix dans une élection un mois avant. Pourtant il est tenu pour responsable sur ses deniers et droits civiques de toutes les factures de sa campagne. Pas belle la cinquième République ?

J’ai évoqué dans ma précédente note le coup d’Etat au Paraguay. Je me fais un devoir de poursuivre l’information de mes lecteurs sur le sujet. Je le fais bien sûr pour que vous sachiez. Savoir c’est aussi se préparer. Il est important de savoir de quoi sont capables nos adversaires et quelle est la pratique ordinaire des Etats-Unis avec leurs voisins rebelles. Cela permet de faire la part des choses quand déferle la propagande médiatique contre les gouvernements « dictatoriaux » de nos amis en Amérique du sud et dans les Caraïbes. Je le fais aussi comme un défi. De ce dont je vous parle il n’est question nulle part ! Imaginez que cela se déroule à Cuba ou à Caracas ! La presse sous influence regorgerait d’articles et de « reportages » de « correspondant locaux » comme nous en sommes régalés à l’ordinaire dès qu’il s’agit d’un gouvernement de gauche à mettre en cause ! Il est important pour moi de guérir mes lecteurs de toutes les façons possibles contre la tendance à oublier que sont en réalité les « médias de référence » quand ils parlent de questions internationales. Donc, le président « déchu », Fernando Lugo, s’est adressé à l’opinion publique nationale et internationale. Cherchez-en la trace dans vos journaux ! Il raconte comment vit dorénavant son pays, depuis le putsch. Son texte s’intitule : « Non à la violence du régime illégitime et putschiste ! ». On y apprend comment se met en place une répression politique de grande envergure. Ainsi les sénateurs Carlos Filizzola et Sixto Pereira qui ont refusé de voter la déchéance de Fernando Lugo sont dorénavant menacés par leurs collègues putschistes ni plus ni moins que d’expulsion du pays ! Mais il y a plus glauque. Le nouveau prétendu président est à la tête d’une grande entreprise de vente de pesticides. Il s’est donc immédiatement attaqué au CENAVE, l’organisme de contrôle des semences. Plus de cent employés ont été licenciés sous l’accusation d’être des « luguista », c’est-à-dire des partisans du président Lugo. Ici la lutte contre les putschistes devient aussi une lutte écologiste. Le

licenciement politique ferait le régal des outragés stipendiés s’il s’agissait de Cuba ou du Venezuela. Ici, quoi ? Pourtant ça tape dur. L’appel international de Fernando Lugo signale un exemple frappant à Itaipu Binacional, la plus grande centrale hydroélectrique du monde ! L’actuel directeur général paraguayen, membre dirigeant du parti du président pesticide, annonce le licenciement de 300 employés ! Motif officiel : ils sont « gauchers ».

Le silence des médiacrâtes s’étend même à des domaines où ils ont pourtant d’habitude les nerfs à fleurs de peau. Je veux parler de la sacro-sainte défense des collègues opprimés parce qu’ils « font seulement leur métier » et de « la liberté d’informer », et des bla bla habituels de la caste ! Car au Paraguay, le nouveau régime vient d’essayer d’assaillir la TV publique ! Les occupants des lieux ont opposé une défense héroïque. Dorénavant il y est procédé à des menaces de licenciements massifs pour faire cesser la résistance. Quel silence entoure tout cela ! Dorénavant vous savez donc ce que valent les sanglots mouillés des médiacrâtes à propos de la liberté de la presse et tous leurs bla bla ordinaires sur le sujet ! Leurs indignations signalent la présence de la laisse, leurs silences indiquent sa longueur maximale ! Touchant de naïveté, Lugo s’adresse pourtant à cette engeance : « Ce sont quelques-uns des faits qui invitent l’opinion publique internationale et nationale, tous et toutes les démocrates de la région et du pays, les institutions internationales et régionales à ne pas faiblir dans leur accusation afin d’empêcher que le viol de la Démocratie et de la Constitution paraguayenne reste impuni. » Aphatie, Duhamel, Ménard, Barthès, Elkabbach, au secours ! Trop drôle !

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