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17 juillet 2012 2 17 /07 /juillet /2012 09:43

“Les Lisboètes ont l’impression d’être en Afrique”

Les mesures d’austérité appliquées dans le domaine de la santé menacent l’accès aux soins d’une part grandissante de la population. Mais ce sont surtout les personnes âgées en milieu rural qui paient le prix fort.

19.04.2012 | Paula Torres de Carvalho | Público

Près de 11 600 personnes sont mortes en février dernier au Portugal, soit 10 % de plus qu’à la même période l’an passé. La plupart des victimes étaient âgées de plus de 75 ans. La Direction générale de la santé affirme que cette recrudescence est due au froid. Mais nombre de spécialistes établissent un lien entre ce bilan, la crise et les mesures d’austérité (augmentation du ticket modérateur, coupes budgétaires, etc.), à l’instar du Dr Teixeira Mendes, un des gérants du plus grand hôpital de Lisbonne, cité par l’agence IPS : “La montée de la mortalité est due à la hausse des prix des produits alimentaires, aux mauvaises conditions de logement et à l’absence de chauffage du fait de l’augmentation du prix de l’électricité.”

Maria Helena Gonçalves, 62 ans, s’est levée tôt pour prendre le bus. Le trajet dure une heure et demie jusqu’à Odemira. Ensuite, elle doit gravir doucement la butte au sommet de laquelle se trouvent les urgences du centre de santé. C’est la seule façon pour Helena d’être auscultée par un médecin. A São Martinho das Amoreiras [village de 1 000 ha­bitants, à 32 kilomètres d’Odemira], il n’y a pas de praticien. Le plus proche officie tous les jeudis à la maison de retraite de la ville voisine, São Teotónio, mais il faut payer. Dans la salle d’attente des urgences, deux personnes sont devant elle : l’une pour un possible infarctus, l’autre pour un AVC. Si Helena rate le bus de 13 h 30, elle devra attendre 19 h 30 pour rentrer. Avec sa maigre retraite, elle n’a pas d’argent pour payer le taxi et son état de santé n’est pas suffisamment grave pour appeler l’Inem [le Samu portugais]. Eloignement des centres de soins, manque d’argent et de transports, telle est la réalité vécue par des centaines de milliers de personnes à l’intérieur du pays. 

Le Dr Denis Pizhin est tout seul aux urgences. L’autre médecin a dû accom­pagner un malade dans un état critique ­jusqu’à l’hôpital principal de la région, celui de Santiago do Cacém. Denis Pizhin, 31 ans, est arrivé d’Ukraine en 2008. Aujourd’hui, c’est un “prestataire de services” auquel ont recours des entreprises qui placent des praticiens dans des établissements de santé. Il touche 24 euros brut par heure.
 “Presque autant qu’une femme de ménage”,souligne-t-il. Le Dr Pizhin voit 60 à 70 personnes par jour. Outre Odemira, il travaille dans la région de Guarda [400 kilomètres plus au nord] et à Ponte de Sor, à 273 kilomètres de distance. Une ville où réside Natália, 57 ans, souffrant d’un cancer. Avec sa retraite de 379 euros et un loyer de 214 euros, elle n’a pas l’argent pour aller consulter à l’Institut portugais d’oncologie ni pour acheter des médicaments. Natália se plaint de fortes douleurs à la tête et ne voit pas d’un œil. Elle est sur une liste d’attente pour être opérée à Coimbra [à deux heures de route]. “C’est loin, je ne connais personne. Je n’ai plus le moral.” Retour aux urgences d’Odemira.“Cela fait quinze jours que nous n’avons pas de plasma”, déplore Denis Pizhin. “Nous manquons toujours de médicaments et de produits essentiels”, comme les réactifs de dosage de la troponine, indispensables pour le diagnostic de l’infarctus. “Les habitants de la région comme les vacanciers sont en situation de risque-tout”, affirme-t-il. L’été, “les Lisboètes de passage qui doivent aller aux urgences nous disent très souvent qu’ils ont l’impression d’être en Afrique”. 

Au manque de transports publics il faut ajouter le mauvais état des routes. Et l’absence d’une communication efficace entre les structures de santé. Il y a des morts qui auraient pu être évitées
 “si nous avions une autre organisation”, estime le médecin ukrainien. Certains cas ont beaucoup fait parler, comme celui d’un bébé de 22 mois mort en août dernier au centre de santé d’Odemira après avoir été ­renversé par une voiture. Lorsqu’il a été transporté au centre, en arrêt cardio-­respiratoire, seuls un médecin et un infirmier étaient présents, un nombre de professionnels considéré à l’époque comme “insuffisant” par l’ordre des infirmiers. La loi prévoit qu’une équipe d’urgence de base doit être composée de deux médecins et de deux infirmiers, présents physiquement. Huit mois plus tard, la situation n’a pas changé. Les effets négatifs de la réduction du financement du transport des malades par l’Etat sont notoires. Face à une situation d’urgence, “les personnes qui vivent dans des zones isolées et dont les retraites suffisent tout juste pour manger doivent soit avoir la chance de trouver quelqu’un qui les emmène, soit attendre que leur état empire pour que l’Inem accepte d’aller les chercher sans qu’elles aient à payer”, souligne Pedro Rabaça, infirmier de l’Inem. Une situation tellement préoccupante que, “dans certains cas, les personnes âgées n’ont pas d’autre choix que d’arrêter de se soigner pour vivre”.

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