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8 janvier 2011 6 08 /01 /janvier /2011 11:04

Chevènement-Julliard (2/2) : «La gauche doit réinvestir la nation»

P. Cohen et JD. Merchet - Marianne | Samedi 8 Janvier 2011


A l'occasion de la sortie de son dernier livre, Jean-Pierre Chevènement s'est confronté à Jacques Julliard, éditorialiste de Marianne. Seconde partie du débat : la question de l'euro et l'appel républicain du président d'honneur du MRC.



Jacques Julliard, Jean-Pierre Chevènement - Hannah Assouline - cc
Jacques Julliard, Jean-Pierre Chevènement - Hannah Assouline - cc

Marianne :  Dans le pari pascalien on doit choisir Dieu parce que sinon il n’y a rien. Si l’on applique la métaphore à l’idée européenne, cela signifie que la nation n’est rien…
 

Jean-Pierre Chevènement : On aboutit en effet à la mise en congé implicite de la nation et on fait comme Pascal, on jette de l’eau bénite, on dit des messes, on met le drapeau européen au fronton des mairies, on chante l’hymne à la joie au congrès de l’association des maires de France et on invente une monnaie qui va permettre aux Européens de payer en euro et on va installer la foi en l’Europe dans la vie. Le ralliement au néo-libéralisme a été habillé par cette mystique européenne sans laquelle on ne comprendrait pas que des socialistes sincères se soient ralliés à cette perspective si contraire à celle pour laquelle nous avions mobilisé depuis le Congrès d’Epinay.
 
Jacques Julliard : Le socialisme a abandonné l’internationalisme prolétariat et y a substitué une sorte d’internationalisme libéral dont on est obligé de constater qu’il a eu dans un premier temps des effets bénéfiques. Aujourd’hui, l’euro est à revoir à cause de l’élargissement de l’Europe : on est passé d’une Europe franco-allemande dont je maintiens qu’elle était excellente à une Europe à 27. En réalité, c’est moins Mitterrand et Kohl qui ont cédé à Thatcher que l’effondrement des Soviétiques et l’élargissement de l’Europe qui réorientent l’Europe dans des conditions incompatibles avec tout ce qui avait été décidé précédemment.
 
Jean-Pierre Chevènement : Mais cet élargissement était tout de même prévisible, en 1991-92. La ratification du traité de Maastricht intervient en février 1993. Cette année-là, on ouvre le processus d’élargissement à trois pays : la Pologne, la Hongrie et la Tchéquie sous la pression allemande et anglaise. Les incohérences et les contradictions de l’euro sont aujourd’hui visibles, elles éclatent et compte tenu de la différence des taux d’intérêt auxquels sont contraints d’emprunter les pays de la zone euro, celle-ci ne peut pas survivre. Sauf si on en change complètement.
 
Jacques Julliard : J’en appelle au Jean-Pierre Chevènement positif de la fin de son livre quand il dit qu’il ne faut pas renoncer à l’euro.
 
Jean-Pierre Chevènement : Nous sommes embarqués dans un vol auquel je me suis opposé dès le décollage. Mais je ne suis pas de ceux qui proposent de sauter par le hublot de l’avion, autrement dit de sortir de l’euro : j’ai combattu Maastricht mais, en même temps, maintenant que nous y sommes, essayons de nous poser en douceur.
 
Jacques Jacques Julliard : Imaginez ce qu’aurait été la situation de divers pays s’il n’y avait pas eu l’euro, pour faire un peu d’uchronie.
 
Jean-Pierre Chevènement : Vous parlez de quels pays ? De la Grèce ? De l’Espagne ? Voyez au prix de quels déséquilibres s’est organisée leur intégration !
 
Jacques Julliard : Ce n’est pas l’euro qui est responsable de la situation grecque.
 
Jean-Pierre Chevènement : Mais si l’euro n’avait pas permis d’emprunter à un très bas taux pendant longtemps, la Grèce ne serait pas l’état calamiteux où elle est.
 
Jacques Julliard : Vous êtes pour un euro non laxiste, comme les banquiers allemands !

Jean-Pierre Chevènement : Il faut qu’on trouve un équilibre entre le principe de solidarité et le principe de responsabilité. Je fais trois propositions : doubler le montant du fond de stabilisation ; permettre à la banque centrale européenne de racheter en quantité des titres pour casser la spéculation ; et étudier les conditions dans lesquelles on pourrait lancer des «eurosbonds». Si par ailleurs, il y a une initiative de croissance au niveau européen, je pense, peut-être qu’on pourrait sauver l’euro. Mais l’Allemagne étant hostile à toutes ces propositions, il y a très peu de chances qu’elles se réalisent. Voilà pourquoi je préconise une mise à l’étude d’un plan B, une sortie organisée de l’euro.

Jacques Julliard : La crise a formidablement fait avancer les idées, y compris en Allemagne. Les Allemands ont accepté une intervention de la BCE et, progressivement, l’idée d’un gouvernement économique, même si le mot n’est pas prononcé, a beaucoup avancé.
 
Marianne : Dans son premier éditorial à Marianne, Jacques Jacques Julliard a rappelé la gauche à être morale. L’avant dernier chapitre du livre de Jean-Pierre Chevènement est un appel républicain. Est-ce que la morale et la République peuvent au fond se rapprocher ?
 

Jean-Pierre Chevènement : Nous assistons à l’effondrement d’une vision du monde économiciste. Cela est vrai pour le capitalisme financier fondé sur la théorie de Milton Friedman sur l’efficience des marchés ; cela est vrai pour la conception de l’Europe selon Jean Monnet où on mettait de côté les États nations, réduits, je le cite, à un rôle de purs agents d’exécution parce que l’Europe ne pouvait se construire que sur la base de souveraineté nationale marginaliste. Elle ne pouvait accéder à la prospérité que si on en finissait avec les souverainetés nationales. Or, je pense que ces deux visions du monde économiciste ont pris l’eau. Seule la politique peut changer le cours des choses. La gauche ne peut s’en sortir que si elle fait corps avec la nation, si elle lui donne une identité républicaine, progressiste, ouverte, si elle tend la main aux autres nations, si elle redresse l’Europe à travers ses nations, car les nations sont l’énergie de l’idée de droit, le cadre de la démocratie, l’élan, la force qui peut faire de l’Europe une réalité résiliente. Regardez le monde autour de nous : États-Unis, Chine, Inde, Brésil, Vietnam, Iran, Turquie, tous ces pays ont confiance en eux, croient en leur avenir ; nous, nous avons un futur et, pour croire à nouveau dans notre avenir, nous avons besoin de réinvestir la nation, non pas contre l’Europe, mais avec elle car je pense, et là-dessus je ne serai sans doute pas en désaccord avec Jacques Julliard, que l’Europe et les nations vont de pair. La succession de Charlemagne, c’est le partage entre la Francia occidentaliste et la Francia orientaliste et puis on se partagera la Lotharingie. Mais l’histoire, elle, est ensuite celle des nations du concert européen ; on ne peut pas penser l’Europe indépendamment de ses nations. L’Europe n’est pas l’Amérique. Nous sommes une trentaine de peuples qui ne sont pas des colonies britanniques jetées là par l’intolérance ou la misère. Nous venons du fond de l’histoire.
 
Marianne : On ne peut que constater la faiblesse des réactions du mouvement ouvrier face aux attaques contre les salariés, leurs droits sociaux conquis durant les Trente Glorieuses. La gauche peut-elle exister sans cet appui social ?
 

Jacques Julliard : Jean-Pierre Chevènement est un homme politique volontariste. Mais il ne faut pas abuser des bonnes choses. J’ai l’impression que vous attribuez à la nation une vertu de capacité de réveil. Votre démarche est sympathique mais je crois qu’elle ne repose pas sur des éléments concrets. C’est votre sacre de Reims, votre fête de la Fédération.

Jean-Pierre Chevènement : C’est aussi la Résistance, le programme de son conseil national.

Jacques Julliard : Mais ça ne suffit pas. Il faut que le peuple soit présent. Si la gauche politique continue d’être en mauvais état, nous assistons à réveil du mouvement social. Je n’ai pas tout approuvé dans les grèves qui ont eu lieu récemment. La question des retraites n’était pas résolue par le gouvernement et le prochain reprendra en partie, même s’il est de gauche, la réforme. On sent bien que désormais, il y a une volonté de ce peuple. La France n’est pas finie, elle a des capacités de rebond. Nos syndicats qui passent pour les plus faibles d’Europe, et ils le sont quantitativement, ont une capacité d’entraînement, de mobilisation, de coagulation autour d’eux que les grandes centrales allemandes, anglaises ou nordiques n’ont pas eue. Il faut faire confiance au mouvement social, je retrouve là l’une des dimensions de la deuxième gauche.

Jean-Pierre Chevènement : Oui, vous avez proposé de réunir d’abord les syndicats pour relancer la dynamique.
 
Jacques Julliard : Quelle est la richesse de la France ? C’est sa culture, sa société. La politique vient bien après. La gauche ne peut imposer un programme que si elle est appuyée sur un véritable mouvement social. Si elle est simplement appuyée par une victoire électorale numérique, je ne donne pas cher, sinon d’elle-même, du moins de ses idées. La démocratie n’est plus l’apanage des politiques. Nous le vivons tous les jours, à travers Internet, la rue, la vie quotidienne, c’est là-dessus qu’il faut chercher les forces pour rebondir et, à mon avis, ça ne peut se faire qu’au niveau européenne et pas en se resserrant sur le cadre national.

Jean-Pierre Chevènement : Je ne propose pas qu’on se resserre sur le cadre national, je dis qu’il faut partir des briques de base que sont les nations pour redresser l’Europe.
 
Marianne : Ce que vient de dire Jacques Jacques Julliard sur le mouvement social, la nécessité d’avoir le peuple avec soi, est-ce que ce n’est pas ce que vous vouliez dire quand vous écrivez la gauche française a perdu au début des années 80 une bataille pour laquelle elle s’était préparée mais qu’elle n’a pas livrée ? Pourquoi ? Parce que, peut-être dans les années 80, il n’y a pas eu de mouvement social, contrairement à ce qui s’était passé en 1936.
 

Jean-Pierre Chevènement : Parce que la conversion libérale à cette époque était plus facile que la conversion républicaine. Il était possible sur la base d’une autre politique de garder la confiance du peuple. Evidemment, on ne peut rien faire sans le peuple mais il ne suffit pas de crier mouvement social !

Jacques Julliard : Pas plus de crier République.

Jean-Pierre Chevènement : Ah mais la République est une exigence, elle permet de définir un intérêt public partagé avec d’autres nations, même. Et par conséquent, elle indique une voie. Et je pense que s’il y a eu un mouvement social à la Libération, c’est le mouvement d’enthousiasme des gens qui retrouvaient la liberté et qui étaient décidés à travailler pour construire un avenir de progrès. Mais, pour nous, la tâche sera rude car l’Europe est prise dans les tenailles du G2 ; d’un côté la Chine, de l’autre les États-Unis. Le yuan et le dollar. Et, par conséquent, il faudra que nous travaillions dur dans le monde qui vient pour maintenir un modèle social qui tienne la route car ce qui m’a beaucoup affecté,  quand j’étais ministre de l’Industrie en 1982-83, c’est l’érosion continue de notre base productive. Je ne pense pas qu’on puisse maintenir un modèle social progressiste sur une base productive rétrécie. Je ne suis pas pour la monnaie forte pour cette raison-là. 

marianne2.fr

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