Les différents scrutins du 6 mai ont exprimé la rupture entre responsables politiques et citoyens européens. Pour éviter que la situation ne dégénère, il faut abandonner l’obsession de la rigueur pour relancer la solidarité et l’intégration qui ont fait l’Europe, estime une éditorialiste italienne.

 

Assez avec l’Europe des arrogants, des chefs qui ne connaissent que la loi du plus fort. Assez avec l’Union qui a dégénéré en une pyramide féodale, avec un seul grand Etat – le seul véritablement souverain – à sa tête, et la pléthore des vassaux et autres vavasseurs à ses ordres. Assez avec l’Europe peu convaincante des proclamations : c’est scandaleux, alors que la crise économique fait des dégâts, que l’austérité lui emboîte le pas et que l’emploi se fait rare.

Jamais auparavant, avant le "super-dimanche" dernier, on avait eu conscience avec autant de brutalité de la portée du divorce entre l’Europe, ses classes dirigeantes et ses citoyens. Une rupture qui a mûri au sein même d’un projet commun qui non seulement est en perte de vitesse, mais qui a fini par renier l’esprit et la politique des origines et s’obstine à ignorer la réalité : le mécontentement et la frustration croissante des citoyens. D’où la perte d’adhésion de leur part. Ce n’est pas encore un plébiscite négatif, mais presque. A présent, soit l’Europe redémarre et elle redevient elle-même, soit tôt ou tard elle meurt. Afin de retisser le lien avec ses peuples, elle a besoin, en urgence, de deux choses : la croissance économique et la politique.

Océan de méfiance 

Pour commencer, il faut : récupérer la dynamique démocratique à tous les niveaux, inter-institutionnel compris ; rejeter toute dérive vers des “directoires” ; redécouvrir la communauté de droit et d’égalité relative des Etats face à la loi, ainsi que le principe d’unité dans la diversité (et non dans l’uniformité). Ce n’est qu'en empruntant ce chemin que l’on peut espérer guérir la crise de confiance et franchir l’océan de méfiance réciproque qui empoisonne aujourd’hui la cohabitation européenne.

Mais sans une croissance économique tangible qui ne se limiterait pas aux déclarations, sans nouveaux emplois, sans ponts, sans autoroutes transeuropéennes, sans réseaux numériques et énergétiques, bref, sans une Europe des opportunités et de l’espoir pour remplacer celle de la rigueur et du désespoir, on ne sort pas du marasme.

Il serait illusoire de croire que la France de François Hollande, qui a été élu en misant tout sur la relance de l’économie européenne, puisse seule passer outre l’opiniâtreté allemande. Afin d’éviter qu’ailleurs en Europe ne se répète le cauchemar de la Grèce, où l’excès de rigueur a fait sauter les paramètres de la démocratie, avec l’ascension anormale des extrémistes de tout bord, Paris a besoin de former une sorte de sainte alliance. Celle-ci devra agir comme un contrepoids solide au superpouvoir de l’Allemagne, qui a pu s’exercer sans freins car il n’a pas rencontré de garde-fous crédibles. 

Une fois posé que le chemin de la croissance dans la rigueur est étroit mais obligé pour pouvoir dialoguer sérieusement avec Angela Merkel et que Hollande semble accepter avec conviction ce chemin, l’entente avec l’Italie de Mario Monti et avec la Commission européenne de José Manuel Barroso, avec l’Espagne de Mariano Rajoy, le Portugal, la Grèce, la Belgique, mais aussi les Pays-Bas, ne sera qu’une question de temps. Le sommet extraordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement du 23 mai pourrait être l’occasion de tester de nouvelles alchimies de pouvoir, en même temps que des recettes concrètes pour faire repartir l’économie.

Myopie et égoïsme

Une tâche compliquée. Car il y a pas mal d’idées sur le tapis : des project bonds pour financer les grandes infrastructures à l’augmentation du capital de la Banque européenne des investissements, de la réorientation des fonds structurels européens non dépensés à la taxe sur les transactions financières. Jusqu’aux eurobonds, dans un avenir moins proche. Ou encore : la règle d’or pour exclure les investissements dans le développement durable du calcul du déficit et une interprétation plus flexible du pacte fiscal afin d’allonger les termes pour l’assainissement des comptes publics, le rendant ainsi socialement et économiquement plus acceptable.

Ce sont là des idées qui, d’une façon ou d’une autre, font appel à la solidarité et à la cohésion, c’est à dire à l’esprit européen qui a manqué ces deux dernières années de crise. Ou qui, alors qu’il était déjà trop tard, ne s’est manifesté que sous la contrainte des marchés, alors que la myopie et les égoïsme nationaux dominant l’avaient enterré.

La croissance est indispensable mais, pour être vraiment européenne et durable, elle a besoin d’autre chose : davantage d’intégration à tous les niveaux ; une réforme du statut de la Banque centrale européenne, de ses objectifs et de ses marges de manoeuvres ; un modèle de société et de développement en phase avec notre époque ; l’union politique. Sans ça, l’euro pourra difficilement survivre longtemps.

Le défi est énorme. Il passe par une contre-révolution culturelle qui fasse émerger l’Europe perdue. Est-ce faisable ? Ce qui est sûr, c’est que la remise en marche de l’économie est le premier pas vers la réconciliation avec les citoyens. Un projet qui détruit la croissance ne peut pas les séduire. Le reste viendra si les gouvernements réapprennent à se faire confiance les uns les autres : si tous se parlent à nouveau sur un plan d’égalité, dans le respect réciproque et redécouvrent la valeur de l’intérêt commun, dans un monde global où l’Europe devient chaque jour plus petite. Et où elle doit apprendre à agir vite.

Traduction : Luca Pauti