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19 avril 2012 4 19 /04 /avril /2012 11:03

En finir avec la guerre de 14 

Par André Bellon

Président de l’Association pour une Constituante

 

Le texte qui suit ne se prétend pas un travail d’historien. Il est une simple mise sur papier des interrogations d’un citoyen humaniste lassé d’entendre présenter la République comme responsable de tous les maux : colonisation, guerres et même, parfois, régime de Vichy. Venant après l’optimisme qui caractérisait la France au 19ème siècle, le 20ème a-t-il sonné le glas des illusions républicaines ? Mais ce dernier fut-il vraiment, en France, un siècle républicain ? Que s’est-il passé qui a rompu un chemin engagé par la Révolution française ? Pourquoi les valeurs républicaines disparaissent-elles de la société française ? La guerre de 14 fut-elle une rupture fondamentale ? Il ne s’agit donc ici que de questions tentant de sortir enfin de tant de discours convenus, si pesants sur la pensée des citoyens et tellement pratiques pour ceux qui détestent la souveraineté des peuples et la liberté des citoyens. Voilà ci-dessous ces interrogations si personnelles qu’elles permettent à l’auteur de s’exprimer de ci de là à la première personne.

 

Je me suis souvent demandé pourquoi le Président du Conseil Paul Reynaud avait nommé Weygand généralissime le 17 mai 1940. Ses capacités militaires n’étaient apparemment pas plus exceptionnelles que celles de beaucoup d’autres ; même s’il fut adjoint de Foch en 1918, il n’avait jamais commandé en chef au front. Ses idées n’étaient pas favorables à la République : lors de l’affaire Dreyfus, il fut ainsi, après le suicide du Colonel Henry, parmi les officiers à apporter son obole à la construction à Nîmes d’un monument en l’honneur de l’auteur des faux documents et fut sanctionné de ce fait.

Je me suis interrogé de même sur la nomination, ce même 17 mai, de Pétain ministre de la guerre. Ce dernier avait déjà occupé cette fonction en 1934 après les émeutes du 6 février, dans un gouvernement Doumergue censé rassurer la droite nationaliste. Il fut, à ce poste, le promoteur de la ligne Maginot, ignorant ceux qui voulaient développer les capacités militaires mécaniques du pays. Mais il était une icône. Pourquoi ? Certes, il était proclamé urbi et orbi comme « le vainqueur de Verdun », mais on peut s’interroger sur ce label puisqu’il ne commanda qu’un peu plus de 2 mois dans les débuts de cette fameuse bataille. Marc Ferro, son biographe, apporte une première réponse : il existe, selon lui deux traditions de cet évènement décisif, « celle des chefs militaires et politiques qui la mettent au crédit de Nivelle, et celle des combattants qui ne connaissent que Pétain [1]». Si plus personne ne voulait valoriser Nivelle[2], il existait donc, en revanche, des forces importantes qui souhaitaient valoriser Pétain.

En fait, j’ai fini par penser qu’on ne peut comprendre les représentations qui furent faites de la guerre de 14 après l’armistice sans faire référence à l’« union sacrée » qui avait dirigé le pays pour décider de la guerre, puis pour la conduire, ni sans comprendre ce que cette alliance avait détruit. Après 1918, « l’opinion ne peut contester l’union sacrée et ses messies, mi-monstres sacrés, mi-démons que sont les responsables : le Président, le ministre de la guerre et le chef du haut commandement. Ils bénéficient et bénéficieront jusqu’à leur mort, d’une aura de sauveurs. Pétain sera rappelé en 1940 sur cette crédulité [3]».

En 1914, beaucoup n’ont vu là qu’une alliance de circonstance rassemblant pour faire la guerre. Elle permettait la cohésion entre le pouvoir politique et l’état-major militaire où dominaient les cléricaux plutôt hostiles à la République (Foch, Pétain, Weygand, Gallieni, Castelnau) à quelques exceptions près (Joffre, d’ailleurs assez modéré). En fait, il s’agissait d’un tournant historique. Car, en supprimant l’affrontement entre républicains et cléricaux qui rythmait le pays depuis des décennies, en cassant l’unité des républicains au bénéfice d’un rassemblement de guerre, cette union restructurait fondamentalement la vie politique. Tout en donnant force et légitimité à la pensée antirépublicaine, elle marginalisait la philosophie de la République.

D’une part, la coterie antirépublicaine et nationaliste voyait, dans cette guerre, la punition des péchés que la France avait commis lors de la révolution française, puis en adoptant la séparation des Églises et de l’État et en chassant les congrégations. La France nouvelle qu’elle cherchait devait repousser la démocratie, le libre arbitre, pour retrouver les valeurs chrétiennes.

D’autre part, ceux qui ne voyaient en la République qu’une organisation bourgeoise à détruire, trouvèrent, après 1918, légitimation de leurs analyses dans le fait qu’elle n’ait pu empêcher cette boucherie.

Au total, la pensée républicaine n’a alors plus de capacité à dominer le débat, émiettée qu’elle est dans les prises de position comme dans les représentations politiques qui émergent après la guerre. L’affaissement des caractères, largement dénoncé par Clemenceau ou De Gaulle, doit sans doute aussi être analysé au travers de cette démission idéologique.

Ce n’est alors pas un hasard si la loi de 1905 ne fut pas appliquée dans les territoires d’Alsace Moselle restitués à la France après 1918 ; ce n’est pas davantage un hasard si Clemenceau ne put accéder à la Présidence de la République en 1920. Certes, on peut ne voir là que la conséquence du raz de marée électoral que constitue la chambre bleu horizon élue en 1919. Mais le cartel des gauches qui lui succéda se montra tout aussi incapable d’étendre la loi de 1905 à l'Alsace et à la Moselle alors même que cette mesure était un article caractéristique de son programme. Et même le front populaire, pourtant clair sur ses options républicaines, fut affaibli par les mêmes contraintes.

Comment en est-on arrivé là ? Depuis la Révolution française, l’affrontement des républicains et des cléricaux, c’est-à-dire de la souveraineté de la nation contre le pouvoir temporel de l’Église joint à un régime monarchique, structure le paysage politique. La défaite électorale de Mac Mahon en 1877 donne enfin aux républicains le pouvoir qu’ils souhaitaient et qui aboutira, entre autres, à la loi de 1905. L’affaire Dreyfus révèle deux caractéristiques de ce moment : la force des républicains qui parvinrent à résister à l’offensive et l’identité majoritairement antirépublicaine de l’état-major. Après l’Affaire, les républicains tentent de conquérir l’armée, en particulier sous l’égide du Général André, nommé Ministre de la guerre par Waldeck-Rousseau, qui lui donne pour tâche de « rapprocher le corps des officiers de la nation républicaine ». Le ministre va alors s'efforcer de favoriser la promotion des officiers républicains qui auraient été retardés dans leur avancement par les « commissions de classement ». Il échoue du fait de sa maladresse et de celle des loges maçonniques dans l’affaire dite « des fiches ». La direction militaire reste globalement non républicaine[4].

La perspective de la guerre obligeait-elle, cela étant, au bouleversement idéologique mentionné plus haut ? Le bloc républicain était-il contraint d’éclater ? Etait-il incapable de faire face à la menace ? Il reste qu’il se casse une première fois en 1913 lors du débat sur la loi des trois ans de service militaire, votée le 19 juillet par la Droite et un tiers des radicaux ? Il s’agissait alors de revenir sur l’initiative du général André qui, en 1905, avait abaissé cette durée de 3 à 2 ans. Ce retour en arrière, particulièrement symbolique, se situait dans une logique guerrière. Il tendait en outre à soumettre les citoyens à une forme d’embrigadement. D’autres options étaient possibles, y compris dans une perspective de défense nationale. Jaurès, par exemple, prônait une vision de la nation armée appuyée sur les réservistes.

Aux élections qui suivent, en mai 1914, la Gauche l’emporte avec 106 socialistes et 238 radicaux. Mais un nouveau vote sur la loi des 3 ans confirme la rupture précédente : sur 602 élus,  325 se montrent favorables au maintien de la loi des 3 ans et 277 votent le retour aux 2 ans. Ce vote symbolise, ipso facto, la fin de la domination de la pensée républicaine. Le 31 juillet, Jaurès est assassiné ; dans les jours qui suivent, les principaux opposants s’alignent ; Jules Guesde devient ministre. C’est l’union sacrée pour la guerre, la force de la République se dilue dans les brumes guerrières.

Après 1918, le paysage politique se structure d’autant moins dans le clivage entre les républicains et leurs adversaires que les opposants à la guerre se situent sur des terrains nouveaux. La République n’a pas su répondre aux aspirations à la paix ; le besoin de paix conditionne largement les pensées et la cohésion nationale autour de la République n’est plus l’élément fondamental : beaucoup d’anciens combattants font confiance aux « vainqueurs », le mouvement social se tourne en large partie vers le nouveau parti communiste. Celui-ci est un produit de la guerre, non seulement en Russie, mais en France du fait de l’espace libéré par la dilution de la cohésion républicaine. Dans cette nouvelle configuration, les « vainqueurs » d’hier peuvent, au nom de la paix, laisser d’autant plus le champ libre à la montée du fascisme que la direction militaire reste passive. Les tentatives de front républicain seront alors plus défensives que constructives.

Depuis lors, la vie politique en France a largement perdu son autonomie et les questions internationales en configurent le paysage. La République n’est plus qu’un charmant élément de folklore dans une pensée de plus en plus soumise à la mondialisation et à une conception bien peu démocratique de la construction européenne. Si on excepte le moment fugitif du Conseil National de la Résistance et les quelques moments de lutte contre les militaires colonialistes (en particulier sous l’égide de Mendès France), les lignes de clivage politiques ont été très peu caractérisées par la fracture entre les porteurs des principes républicains et leurs adversaires. La gauche s’est de moins en moins identifiée à ce combat ; bien pis, une partie s’est attachée à en caricaturer l’Histoire et à en dénigrer les principes dans la seconde moitié du 20ème siècle : on feint de confondre nation et nationalisme pour détruire la souveraineté populaire et la liberté politique du citoyen dans une mondialisation fictive, on présente la laïcité comme une atteinte à la liberté religieuse, …., les concepteurs de l’Europe intégrée ayant en la matière une lourde responsabilité morale. Tout au plus, de nos jours, la question républicaine sert-elle d’alibi commode à des jeux tactiques et à des alliances souvent bien peu républicaines.

Le siècle qui s’annonce permet-il encore ces commodités ? Jour après jour, la configuration géopolitique se modifie profondément. Les schémas issus des guerres mondiales peuvent-ils encore servir à s’abriter face aux nouveaux défis ? La volonté collective, le sens de l’intérêt général redeviennent indispensables. La République n’a-t-elle pas à nouveau son mot à dire ?



[1] Marc Ferro, Pétain, Fayard, 1987, Paris

[2] Suite à la boucherie inutile que fut la bataille du chemin des dames qu’il avait décidée.

[3] Maurice Mistre, La légende noire du 15éme corps, Editions c’est-à-dire, Saint Michel l’observatoire, 2009.

[4] Voir Général André Bach, L'Armée de Dreyfus. Une histoire politique de l'armée française de Charles X à "L'Affaire", Tallandier, 2004

 

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