Avec cette nomination, le Conseil européen prouve la vraie valeur du Parlement européen dont, depuis le traité de Lisbonne, on nous assure pourtant qu'il a désormais un “vrai” pouvoir. Peu importe la raison pour laquelle l'assemblée avait rejeté cette candidature, en l'occurrence le sexe de monsieur Mersch. On pouvait la juger irrecevable. Mais enfin, en démocratie, le vote du parlement est incontournable. C'est une règle d'or plus essentielle que sa cousine budgétaire. Mais ce n'est pas celle qui est inscrite dans les traités européens.

L'arrivée d'Yves Mersch au directoire de la BCE met à jour également la très mauvaise voie sur laquelle l'Europe est entraînée. Les chefs d'Etat et de gouvernement ne sont pas décidés à laisser entendre d'autres voix que les leurs. L'ennui, c'est que ceci entraîne des désagréments bien plus fâcheux que la nomination du Luxembourgeois. La gestion de la crise de la dette – qui consiste depuis deux ans à poser des rustines sur des sparadraps lors de “sommets de la dernière chance” qui se succèdent – est le fruit de ce fonctionnement désastreux. L'échec récent de l'Eurogroupe sur la Grèce, qui devrait être réparé lundi 26 novembre [lors d’une réunion à Bruxelles censée aboutir à un accord sur l'aide à Athènes], l'a encore une fois prouvé.

L'établissement d'un parlementarisme européen serait un des moyens de créer un sentiment de communauté à l'échelle européenne qui manque cruellement aujourd'hui. Il entraînerait une responsabilité des électeurs, des élus et des chefs d'Etat qui serait des plus salutaires. Il est du reste piquant de penser que ces mêmes chefs d'Etat qui se sont essuyés les pieds sur le vote des élus de Strasbourg viendront la larme à l'œil déplorer l'abstention massive qui ne manquera pas de marquer les prochaines élections européennes [prévues en juin 2014] et soupirer sur “ce mal qui ronge notre démocratie”.

Pays de seconde zone

Mais en réalité, la nomination d'Yves Mersch est encore plus préoccupante qu'elle n'y paraît. C'est ici la victoire d'une certaine idée de l'Europe. Sur le plan monétaire d'abord, c'est l'entrée d'un faucon au sein du directoire. Un faucon qui sera la voix de la Bundesbank et qui ne devrait pas manquer de freiner, du moins en interne, la participation nécessaire de la BCE à la gestion de la crise au nom de la “stabilité”.

Sur le plan de la représentativité en Europe, ensuite. L'arrivée d'Yves Mersch confirme l'expulsion d'un représentant permanent de l'Espagne au sein du directoire. Madrid s'était d'ailleurs exprimé contre cette nomination. Car il ne faut pas se leurrer : si l'Espagne a été éjectée, c'est en raison de ses difficultés. Autrement dit, les pays en crise deviennent clairement des pays de seconde zone. Ou pire : les chefs d'Etat et de gouvernement auraient ainsi jugé utile de garantir au sein du directoire un certain équilibre entre le “Nord” et le “Sud” de l'Europe, validant ainsi une vision “ethnique”. Tout ceci est de bien mauvais augure pour la gestion de notre continent.

Enfin, cette nomination du Luxembourgeois confirme le poids exorbitant du Grand-duché dans les instances dirigeantes européennes, son premier ministre étant également président de l'Eurogroupe. On voudra bien reconnaître que les sujets de son Altesse royale Henri de Luxembourg sont un peu plus doués que les autres, mais ceci n'est pas neutre à l'heure où la Commission européenne elle-même fustige la mauvaise volonté de ce petit Etat dans la lutte contre les paradis fiscaux et, où, parallèlement, de grands pays luttent pour retrouver des finances saines.